Légalisation du cannabis

Une industrie florissante

DENVER — Il n’est pas encore 10 h 30, Denver s’éveille lentement en ce beau samedi matin d’automne. Dans le minibus qui vient de quitter un hôtel du centre-ville, environ 25 personnes sont entassées sur des banquettes en faux cuir. Les rideaux sont fermés, les néons violets éclairent faiblement l’habitacle, les joints peuvent s’allumer. La fumée envahit rapidement l’espace et au milieu de la musique reggae, on entend tousser.

« N’oubliez pas : c’est légal de consommer dans l’autocar, mais dès que vous mettez le pied dehors, ça devient illégal », rapelle le jeune guide, Michael J. Metoyer. Les magasins où on vend de la marijuana ont beau s’être multipliés depuis qu’ils ont été autorisés, le 1er janvier 2014, il reste que la loi interdit d’en consommer dans les lieux publics.

Pendant les cinq heures de la visite pour laquelle ils ont déboursé plus d’une centaine de dollars, ces touristes – tous des Américains – feront des arrêts dans deux magasins, une plantation de marijuana ainsi qu’une galerie d’art où on fabrique des objets pour consommer du cannabis. My 420 Tours, une entreprise née quatre mois après la légalisation de la marijuana à des fins récréatives, ne ment pas sur ses intentions. Les gens qui participent à ses visites guidées y sont pour consommer de la marijuana et ils sont servis.

Guy et sa femme Lorelei Stumbo, un couple dans la mi-cinquantaine de l’Iowa, sont de la partie. Professionnel dans le domaine de l’informatique, l’homme refuse de se faire prendre en photo. Il a beau consommer régulièrement de la marijuana, il dirige une équipe de 80 personnes et assure qu’il serait mal vu qu’on sache qu’il fume.

« Nous étions curieux de venir voir la grande expérience menée au Colorado. Nous avons grandi avec la marijuana dans les années 60-70, c’est intéressant de voir les normes changer. Regardez les gens ici, ils sont de différents profils socioéconomiques. »

— Guy Stumbo, touriste de l’Iowa

Charles Chanaba, un Texan de 39 ans, passe la fin de semaine à Denver. « Je voulais aller à Amsterdam, mais c’est moins cher de venir ici », explique le massothérapeute, en montrant les bonbons et le chocolat à la marijuana qu’il vient tout juste de se procurer.

L’instigateur de ces tours est J.J. Walker, ancien propriétaire de boutique qui a milité pour la légalisation de la marijuana. « Quand j’ai commencé ces visites guidées, personne n’avait fait ça encore, dit-il. Ce que je veux, c’est fournir une expérience avec le cannabis dans un environnement légal. Il n’y a pas beaucoup de manières légales de consommer la marijuana. Nous les créons. »

FUMER SANS SE CACHER

Parce que la loi interdit de consommer toute forme de marijuana dans les lieux publics, ceux qui sont de passage dans l’État américain s’exposent à une amende d’une centaine de dollars s’ils sont pris sur le fait. Joel et Lisa Schneider ont donc sauté sur l’occasion d’ouvrir à Denver un gîte où les hôtes peuvent fumer, le bien nommé Bud and Breakfast.

Les chambres ont beau être louées à des prix exorbitants, les affaires roulent bien pour le couple, qui a trois gîtes du genre dans l’État. « Je pense qu’il y a de l’argent à faire dans les hôtels », dit Joel Schneider, qui a pratiqué le droit pendant 30 ans avant de se lancer dans l’hôtellerie.

Les propriétaires ont dû cesser de donner des échantillons de marijuana à leurs clients après avoir reçu une visite de la police, ce qui ne les empêche pas de fournir tout le matériel nécessaire à la consommation. Vapoteuses, papier à rouler et petits plateaux pour rouler des joints sont étalés dans le grand salon.

Des dizaines de bouteilles d’eau sont à la disposition des clients, des chocolats traînent un peu partout dans la maison centenaire : en plus de stimuler l’appétit, la marijuana donne soif.

Le petit-déjeuner vient à peine de se terminer que Melissa et Bill Goldfarb s’allument un joint dans la salle à manger. « J’avais des douleurs chroniques. La marijuana a changé ma vie », dit la jeune femme originaire du Massachusetts. Son mari et elle font la traversée des États-Unis en voiture, un arrêt à Denver était un incontournable de leur voyage.

« Ici, vous n’avez pas à vous cacher et vous n’avez pas à vous entasser dans un bus avec plein d’autres personnes. Nous voulons enlever la paranoïa du pot », dit Lisa Schneider, qui contrairement à son mari et à ses clients, ne consomme jamais de cannabis.

Dans l’autocar de My 420 Tours, la paranoïa ne s’est pas installée, mais il devient de plus en plus difficile de respirer. Quand l’autocar se stationne devant l’hôtel en milieu d’après-midi sur la musique de Mary Jane’s Last Dance de Tom Petty and the Heartbreakers, bien des touristes ont dépensé plusieurs dizaines de dollars en marijuana dans les magasins visités. Pour la première fois de leur vie, ils l’ont fait en toute légalité.

PAYANTS, LES TOURISTES DU POT ?

Difficile de dire combien le tourisme de la marijuana rapporte au Colorado. Les sites internet des offices de tourisme de Denver et du Colorado ne font aucunement la promotion d’activités liées à la marijuana. À l’aéroport de Denver, on a interdit la vente de souvenirs faisant allusion à la drogue. On sait toutefois qu’entre janvier et juillet 2015, les ventes de marijuana à des fins récréatives, laquelle est taxée à presque 25 %, ont atteint près de 310 millions US au Colorado. Dans les boutiques vendant de la marijuana à des fins récréatives que La Presse a visitées, on estimait souvent à plus de 70 % la proportion de touristes parmi les clients.

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