Sans filtre

« L’arrêt du sport, une première mort »

Mathieu Blanchard
Coureur en sentier

Dans leurs propres mots, des athlètes d’ici reviennent sur des moments charnières de leur carrière ou lèvent le voile sur des aspects méconnus de celle-ci. Bonne lecture !

Des victoires à la pelle et une 13e place lors du réputé UItra-Trail du Mont-Blanc… Depuis 2016, le coureur en sentier Mathieu Blanchard a connu un début de carrière sans véritable accroc. Tout a changé sur les Traces Nord Basse Terre, en mars dernier, lorsqu’il a été terrassé par une fracture de stress au niveau du sacrum. Dans ce texte, le coureur raconte la période noire qui a suivi et qui a été marquée par des symptômes de dépression.

C’est comme si on m’avait planté une épée. En me levant d’un ravitaillement, lors d’un ultra en Guadeloupe, j’ai posé ma jambe et je suis littéralement tombé par terre. C’était fini. La douleur que je ressentais dans le bas du dos depuis quelque temps a eu le dessus. Je ne pouvais plus bouger et, le lendemain, je marchais sur une jambe. Ç’a été comme ça pendant presque deux mois avec ce diagnostic de fracture de stress au niveau du sacrum.

En arrêtant totalement le sport pour la première fois, j’ai découvert un monde que je ne connaissais pas et qui m’a fait beaucoup de mal autant physiquement que mentalement.

Pendant un mois, j’ai eu des symptômes dépressifs : difficulté à trouver le sommeil, fatigue chronique du matin au soir, forte anxiété, aucune motivation, appétit instable, troubles nutritionnels, isolement et irritabilité. Le moindre truc qui n’allait pas dans mon sens m’énervait beaucoup plus qu’à l’habitude. Bizarrement, j’avais aussi envie de manger des sucreries, du fast-food et moins de mauvaise conscience à boire des bières pour me détendre.

Assis sur mon canapé, je ne reconnaissais plus mon « moi » profond. Vivre, c’est bouger. C’est un peu fort ce que je vais dire, mais, pour moi, l’arrêt du sport est comme une première mort. Tu ne te sens plus vivant et tu perds ton identité. C’est grave parce que, au début, tu ne peux pas compenser par d’autres sports ou par d’autres mouvements corporels.

Le sacrum, c’est l’os qui est situé à la fin de la colonne vertébrale. C’est horrible de se blesser là parce que tu ne peux plus rien faire. Tu as mal quand tu es assis, quand tu marches, quand tu es debout, quand tu fais du vélo ou de la natation. Au début, je ne pouvais même pas dormir parce que le moindre mouvement me faisait mal. Je ressentais de la douleur malgré la prise d’antidouleurs.

Ça m’a pris du temps avant de me sortir graduellement de cette mauvaise période. Après l’écroulement et le déni, il y a eu une étape de compréhension. J’ai commencé à prendre du recul et j’ai appris, par l’entremise de mon médecin du sport, qu’il y avait une raison hormonale à ce déraillement mental.

Les concentrations d’endorphine, d’adrénaline et de mélatonine sont complètement altérées lorsque tu arrêtes de faire du sport. Je suis passé de deux, trois ou quatre heures d’activité physique chaque jour à zéro. Du coup, l’endorphine ne me calmait plus, l’adrénaline ne me donnait plus le niveau d’excitation dont j’avais besoin et la mélatonine ne me faisait plus dormir.

À partir de là, je suis entré dans la phase d’acception de la situation. Je me suis rendu compte que, même si les sportifs de haut niveau paraissent indestructibles, on reste des humains comme tout le monde. J’ai dû accepter l’idée toute bête qu’un vrai repos est vraiment bénéfique et nécessaire. Je me suis fixé de nouveaux objectifs comme me reposer, me soigner et faire la paix avec des journées sans entraînement.

Ce processus a permis de me déstresser et de m’adapter à mon nouvel équilibre de vie. Quand on s’entraîne beaucoup, l’équilibre est pas mal porté sur le sport au détriment d’autres sphères de sa vie. J’ai donc modifié certaines choses en m’ouvrant à d’autres disciplines comme le vélo et la natation.

Le retour à la course a aussi débouché sur du positif. Avant, c’était normal et acquis d’être capable de courir et d’être en santé. Maintenant, je me rends compte que rien n’est acquis. Depuis ma reprise, j’ai beaucoup plus de gratitude à courir. Lors des entraînements ou des courses, je me dis dans ma tête : « Mathieu, quelle chance tu as de pouvoir courir ! » J’ai plus de plaisir à le faire maintenant qu’auparavant.

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J’ai commencé à avoir une gêne dans le dos au début du mois de février. L’origine est floue parce que c’est arrivé au moment où j’ai dû composer avec une énorme charge émotionnelle. D’une part, je venais de quitter mon emploi d’ingénieur pour donner un élan plus professionnel à ma discipline sportive. D’autre part, j’avais quitté mon appartement et vendu tout mon matériel pour mener une vie un peu plus minimaliste.

Ce choix était assumé, mais ça a quand même créé un certain niveau de stress. J’en ai discuté avec des spécialistes. Ils m’ont dit qu’une maladie physique pouvait être déclenchée par une forte anxiété. Durant cette période, je m’entraînais également très fort pour ma course en Guadeloupe. Ce cocktail a déclenché la douleur malgré laquelle j’ai poussé la machine.

Les sportifs sont habitués à avoir des petits bobos à droite et à gauche. Ce sont des murmures de ton corps, mais tu ne peux pas t’arrêter de t’entraîner à chaque fois. C’est ce qui fait qu’on performe parce qu’on prend le risque de passer à travers. Ça ne veut pas dire que tu t’entraînes trop intensément. Ça peut vouloir dire que tu es stressé, que tu ne dors pas assez ou que tu manges mal.

Maintenant, si cette situation arrive une deuxième fois ou si je me fais frapper par une auto et que tout s’arrête, il faut que j’apprenne à vivre sans le sport. Sans ça, je sais que je perds le lien social avec ma communauté de coureurs et que je perds la connexion avec la nature qui est vitale pour moi. Il y a énormément de pertes avec une blessure, et l’athlète doit porter ce fardeau tout seul. Il y a une certaine honte à être blessé parce que c’est un sujet encore tabou.

C’est un peu la faute des médias qui mettent toujours de l’avant les beaux moments. De notre côté, on a toujours tendance à publier les réussites ou les podiums. Mais derrière le rideau, ce n’est vraiment pas un long fleuve tranquille, surtout quand le mental déraille à cause d’une blessure. En ultra-trail, on vit des choses très intenses sur les plans émotionnel, psychologique et corporel. Quand ça arrête, il y a un gouffre immense qui s’installe.

***

Aujourd’hui [NDLR : l’entrevue a été réalisée le 21 juin], j’ai encore une appréhension. J’ai comme une douleur fantôme dans le bas du dos et, quand j’attaque une descente, je suis un peu plus sur la retenue. Sur la piste, j’avais le cardio pour pousser plus, mais j’étais aussi sur la retenue lors de mes premières séances de fractionnés. Cette appréhension m’inquiète parce que je me demande si c’est normal ou si elle va durer encore longtemps.

Par contre, j’ai retrouvé la compétition au début du mois de juin lors d’un séjour en Polynésie française. Là-bas, la communauté des Premières Nations parle beaucoup de l’énergie du Pacifique, le « mana ». Quand je suis arrivé, j’ai ressenti cette force particulière. Je suis arrivé un peu sensible et je me suis mis à bien dormir la nuit, à ne plus faire de cauchemars et à avoir des pensées positives. Mon voyage s’est conclu avec une épreuve de 55 km très technique et très boueuse. Pour mon physiothérapeute et mon médecin du sport, ce retour était trop tôt. Malgré mes inquiétudes, j’ai eu des sensations exceptionnelles. Je l’ai emporté, et ç’a été un moment très fort.

J’ai aussi mis en application certaines réflexions pour rééquilibrer ma vie. Je m’étais promis, à mon retour de blessure, de ne plus reléguer au second plan certaines de mes passions. À Tahiti, par exemple, j’avais le choix d’aller m’entraîner en vue de la course ou de faire de la plongée sous-marine. J’ai choisi de plonger.

Ce voyage est bien plus qu’un voyage. C’est un rééquilibre. C’est ma renaissance.

— Propos recueillis par Pascal Milano, La Presse

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