Hockey

« On ne choisit pas son époque »

STÉPHAN LEBEAU

Stéphan Lebeau se souvient d’avoir quitté le Forum en pleurant à chaudes larmes après avoir été ignoré pendant 12 rondes lors du repêchage de 1986.

Lebeau était pourtant l’un des attaquants les plus productifs du hockey junior canadien avec 146 points en seulement 69 matchs. Mais il mesurait 5 pi 9 po.

C’était une époque où les Claude Giroux, Johnny Gaudreau et Erik Karlsson auraient été jugés avec dédain.

En première ronde, le Canadien avait jeté son dévolu sur Mark Pederson, un colosse de la Saskatchewan que Lebeau a éclipsé par la suite lorsqu’on lui en a donné la chance.

« Oui, j’ai vécu des moments de frustration, confie-t-il. Être ignoré au repêchage alors que j’étais l’un des meilleurs joueurs juniors au Canada a été difficile à avaler. Jimmy Carson avait été repêché deuxième au total, derrière Joe Murphy, alors qu’il avait amassé seulement sept points de plus que moi. Je rêvais à cette journée depuis que j’étais tout jeune. »

Lebeau n’entretenait pas de grands espoirs quand il s’est présenté au Forum ce jour-là. « Je savais que ma taille représentait un handicap aux yeux des équipes. Mais je me disais qu’il y aurait peut-être quelqu’un, quelque part qui prendrait une chance, parce que mon père est un gars de 6 pi. Peut-être se seraient-ils dit que j’avais une chance de grandir encore un peu… »

Une surprise l’attendait à la fin de l’été, à son arrivée au camp d’entraînement des Cataractes de Shawinigan : une invitation au camp du CH !

« À la fin du camp, le Canadien m’a offert un contrat de trois ans. Je n’avais même pas d’agent. Mon père avait communiqué avec Pierre Lacroix pour qu’il le devienne, mais Pierre avait refusé. Quand on m’a offert un contrat, Don Meehan, par l’entremise de Pierre “Boom Boom” Meilleur, son bras droit au Québec, s’est occupé de mes affaires. »

134 points

À sa première année chez les professionnels, avec le Canadien de Sherbrooke, Lebeau a amassé un ahurissant total de 134 points, dont 70 buts, en 78 matchs.

Il gagnera un poste à Montréal dès la saison suivante, en 1989-1990, et obtiendra 35 points en 57 matchs. C’est sous Jacques Demers, trois ans plus tard, qu’il connaîtra sa meilleure saison : 80 points, dont 31 buts, en 71 matchs. Il remportera avec son groupe la Coupe Stanley, la dernière de l’équipe, en 1993.

« Jacques était un rassembleur, un bon meneur d’hommes. Il savait tirer le maximum des joueurs. D’ailleurs, neuf joueurs ont connu leur meilleure saison en carrière en 1993, dont Vincent Damphousse, Kirk Muller, Mike Keane et moi-même. Il était à la fois humain et exigeant. Jacques a joué un rôle important dans ma carrière parce qu’à mes trois premières années sous Pat Burns, mon temps d’utilisation était réduit par rapport à mon apport offensif. »

Un peu moins d’un an après avoir soulevé la Coupe, Lebeau était échangé aux Mighty Ducks d’Anaheim en retour du gardien Ron Tugnutt. Il y est resté moins de deux ans.

EXPÉRIENCE EUROPÉENNE

Malgré une bonne production offensive au sein d’un trio avec Paul Kariya (24 points en 38 matchs), Lebeau a mis le cap sur la Suisse à 27 ans pour y passer le reste de sa carrière.

« Je jouais peut-être mon meilleur hockey à Anaheim. J’avais une bonne chimie avec Paul Kariya, sur la glace et à l’extérieur. Mais je m’étais entraîné en Suisse pendant le lock-out et j’y avais établi des contacts dans l’éventualité où le hockey ne reprendrait pas immédiatement. Finalement, la Ligue a repris ses activités, les Ducks voulaient prolonger mon contrat, mais mon frère Patrick jouait déjà en Suisse, j’avais déjà gagné une Coupe Stanley et je voulais vivre l’expérience européenne. Lugano m’offrait encore plus que les Ducks. Je ne regrette pas ma décision parce que j’ai vécu une expérience incroyable, mais avec le recul, j’aurais retardé ma décision de quitter [la LNH] aussi rapidement. »

Stéphan Lebeau est-il né 20 ans trop tôt ? « Est-ce que je voudrais jouer à une époque où on fait plus de place aux petits joueurs, sans accrochage, et gagner 5 ou 7 millions par année ? Sans doute. Mais on ne choisit pas son époque. Henri Richard a joué dans les grandes années du Canadien et ils étaient tous sous-payés. »

Presque 25 ans déjà. On n’entrevoit pas la prochaine Coupe Stanley qui sera remportée à Montréal. 

« Force est d’admettre que le départ de Serge Savard a fait mal à l’organisation. L’équipe se cherche depuis ce temps, du côté de l’identité, du plan de match. Le Canadien n’a jamais gagné par la suite, ni été un aspirant sérieux. »

— Stéphan Lebeau

Lebeau a touché à tout depuis sa retraite. Il a été entraîneur-chef des Tigres de Victoriaville pendant deux ans, (brillant) analyste à la télé et a aussi occupé le poste d’adjoint à l’entraîneur-chef Sylvain Lefebvre chez les Bulldogs de Hamilton pendant deux saisons jusqu’à l’an dernier.

Les circonstances de son départ restent nébuleuses. « Je ne veux pas revenir en arrière. Tout ce que je peux dire, c’est que mon contrat n’a pas été renouvelé par Sylvain Lefebvre. »

Les Bulldogs n’ont pas eu beaucoup de succès ces dernières années, et Lebeau a tendance à blâmer les choix au repêchage de l’organisation montréalaise.

« L’équipe n’a pas misé sur les beaux chevaux ces dernières années. Il y a une limite à ce qu’on peut faire pour développer des jeunes. Tu ne transformes pas un joueur ordinaire en super vedette en lui faisant passer un an ou deux dans la Ligue américaine. Je n’ai pas vu de futurs attaquants dominants en deux ans à Hamilton, et c’est encore plus problématique à la défense.

« Il y a [Ryan] McDonagh qu’on a échappé à cause d’un échange, mais après les Pacioretty, Gallagher, Subban et Price, on a mis du monde dans des chandails, mais on ne retrouve pas beaucoup de joueurs d’impact, des intouchables. Attendons dans le cas de Galchenyuk. Il tarde avant d’être dominant, mais Price aussi a tardé avant d’être dominant. »

Lebeau a hâte de voir une vraie vedette offensive à Montréal. « Ça fait des années qu’on a de la difficulté à trouver de vrais joueurs offensifs. Des joueurs avec une saveur. Pacioretty possède un très bon lancer, mais il doit jouer avec deux très bons joueurs pour être efficace. Les chances que la rondelle se retrouve dans le fond du filet sont bonnes quand il reçoit la rondelle dans l’enclave, mais sans dire qu’il est surévalué, c’est un bon ailier de puissance qui a besoin d’être bien alimenté. »

Difficile de le contredire en ces temps difficiles…

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