sélection des ressortissants

Québec exigera un test des valeurs dès le 1er janvier

QUÉBEC — Le gouvernement Legault imposera dès le 1er janvier un test des valeurs aux travailleurs qualifiés qui souhaitent immigrer au Québec. Mais les immigrants économiques auront aussi une autre option : suivre un cours de 24 heures. 

Les ressortissants étrangers et les membres de leur famille de plus de 18 ans qui souhaitent obtenir un certificat de sélection du Québec (CSQ) devront désormais obtenir une « attestation d’apprentissage des valeurs démocratiques et des valeurs québécoises exprimées par la Charte des droits et libertés de la personne ». 

Pour l’obtenir, ceux qui n’habitent pas au Québec devront passer une évaluation en ligne d’une vingtaine de questions et avoir un résultat d’au moins 75 %. Québec a attribué un contrat de 140 000 $ à des « experts » pour concevoir son test, en plus d’y consacrer 100 000 $ du budget du ministère de l’Immigration. 

En point de presse, hier, le ministre de l’Immigration, Simon Jolin-Barrette, a présenté des exemples de questions. Un ressortissant étranger pourrait ainsi être questionné sur la société démocratique, francophone et laïque du Québec, ainsi que sur les droits et responsabilités des citoyens et sur la notion d’égalité entre les femmes et les hommes.

Voici des exemples de questions : 

« Au Québec, les femmes et les hommes ont les mêmes droits et cette égalité est inscrite dans la loi. Vrai ou faux ? » 

« Choisissez les illustrations qui représentent les personnes qui ont le droit de se marier au Québec. Choix de réponses : Une illustration de deux hommes. Une illustration de deux femmes et un homme. Une illustration de deux femmes. Une illustration d’un homme et une femme. Une illustration de deux hommes et une femme. » 

« Identifiez la ou les situations où il y a discrimination. Choix de réponses : Refuser un emploi à une femme enceinte. Refuser un emploi à une personne qui n’a pas le diplôme requis. Refuser un emploi à une personne à cause de son origine ethnique. »

Puisque ce test se fera en ligne, M. Jolin-Barrette a dit « [faire] confiance aux candidats à l’immigration » pour qu’ils le remplissent de bonne foi. Québec ne pourrait pas vérifier si un candidat est aidé par ses pairs pour réussir l’évaluation, par exemple.

Selon les cibles d’accueil de travailleurs qualifiés en 2020 au Québec, de 25 000 à 26 300 immigrants devraient être soumis au nouveau test des valeurs ou au cours de 24 heures dès l’an prochain. 

Qu’arrive-t-il en cas d’échec ? 

Les ressortissants étrangers n’habitant pas au Québec qui n’obtiendront pas la note de 75 % après deux tentatives pourront tenter de le réussir une troisième et dernière fois, ou bien se déplacer au Québec afin de participer à un cours de 24 heures intitulé « Objectif intégration », a expliqué hier le gouvernement Legault. 

Ceux qui habitent déjà temporairement sur le territoire québécois (par exemple en vertu d’un permis de travail) pourront dès le départ assister à « Objectif intégration » afin de se conformer aux nouvelles exigences de Québec, ou seront tenus de le suivre s’ils choisissent de passer le test des valeurs et y échouent deux fois.

« C’est important pour quelqu’un qui veut venir vivre au Québec qu’il sache, par exemple, qu’au Québec, les femmes sont égales aux hommes. Donc toutes les valeurs qui sont dans la Charte des droits et libertés du Québec, les gens qui viennent ici devraient connaître ces valeurs. C’est normal, quand on s’installe dans une nouvelle société, que l’on connaisse les valeurs de cette société », a dit hier le premier ministre François Legault.

Un changement de cap 

L’imposition d’un test des valeurs aux immigrants était une promesse de la Coalition avenir Québec (CAQ) lors de la dernière campagne électorale. En 2018, François Legault promettait toutefois d’imposer ce test aux immigrants une fois ces derniers arrivés au Québec. Le statut légal de ceux qui auraient échoué à l’examen et qui n’auraient pas obtenu leur certificat de sélection du Québec (CSQ) aurait été confié au gouvernement canadien. Les gouvernements provinciaux ne disposent pas des pouvoirs pour expulser quiconque du territoire canadien. 

En point de presse, hier, Simon Jolin-Barrette a confirmé que le plan élaboré par la CAQ en campagne électorale faisait toujours partie de la feuille de route du gouvernement. Québec doit toutefois négocier avec Ottawa afin de grever la réussite d’un test de français et d’un test de valeurs comme condition d’attribution, par le gouvernement fédéral, du statut de résident permanent aux immigrants souhaitant s’établir au Québec. 

« J’ai bon espoir que le gouvernement fédéral va accepter », a affirmé le ministre de l’Immigration. 

Au bureau du ministre fédéral de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté, on a affirmé hier que « l’Accord Canada-Québec accord[ait] au Québec le droit d’établir ses propres critères pour le [certificat de sélection du Québec] » et que « ces droits ser[aie]nt respectés » par Ottawa. 

Le premier ministre réélu, Justin Trudeau, avait fait savoir lors du débat des chefs en français, le 10 octobre dernier, que « c’est tout à fait correct, et c’est approprié » que le gouvernement Legault choisisse d’« appliquer un test lors du certificat de sélection ».

Une compétence partagée 

L’immigration au Québec est une compétence partagée entre le gouvernement fédéral et provincial en vertu d’un accord signé en 1991 entre Ottawa et Québec. Selon cet accord, le gouvernement du Québec est chargé de la sélection des immigrants économiques qui s’établissent sur son territoire.

Pour immigrer au Québec en vertu du programme régulier des travailleurs qualifiés, un ressortissant étranger doit soumettre son intérêt au ministère de l’Immigration du Québec. Un travailleur qualifié dont le profil correspond aux besoins économiques du Québec est ensuite invité à présenter une demande formelle pour recevoir un certificat de sélection du Québec (CSQ), un document essentiel pour obtenir d’Ottawa le statut de résident permanent et immigrer au Québec.

— Avec Fanny Lévesque, La Presse, à Ottawa, et Martin Croteau, La Presse, à Québec

Immigration

Près de 20 000 investisseurs attendent leur résidence permanente

QUÉBEC — Près de 20 000 riches candidats à l’immigration ont reçu un certificat de sélection du Québec, mais attendent toujours de recevoir leur résidence permanente du gouvernement fédéral, a appris La Presse. Une file d’attente monstre qui explique en partie pourquoi le gouvernement Legault a suspendu le programme d’immigrants investisseurs hier.

Le ministre de l’Immigration, Simon Jolin-Barrette, a annoncé que Québec va refuser toute nouvelle demande dans le cadre de ce programme controversé dès demain. L’annonce est passée quelque peu inaperçue, puisqu’elle a eu lieu en même temps que le dévoilement très attendu du « test des valeurs ».

En entrevue, M. Jolin-Barrette a expliqué que la mesure était devenue inévitable. Non seulement le taux de rétention des immigrants investisseurs est-il « famélique », a-t-il dit, mais encore « l’intégrité » du programme est maintenant compromise.

La raison : au cours des dernières années, Québec a distribué plus de certificats de sélection à des immigrants investisseurs qu’il ne prévoyait en admettre dans son plan d’immigration. Aujourd’hui, on se retrouve donc avec 19 000 personnes qui ont rempli les obligations du programme, mais qui n’ont toujours pas reçu leur citoyenneté canadienne.

Au rythme d’admission actuel, il faudrait six ans pour épuiser cette liste.

Le ministre lance la pierre au gouvernement précédent, à qui il reproche d’avoir mal administré le programme.

« Le fait qu’il y a un inventaire de 19 000 dossiers m’apparaît comme étant une gestion discutable de la sélection et de l’admission des personnes immigrantes par le Parti libéral », a-t-il dénoncé.

Intermédiaires financiers

Le programme d’immigrants investisseurs propose une voie rapide aux candidats à l’immigration qui possèdent un avoir d’au moins 2 millions. Ils peuvent obtenir leur certificat de sélection moyennant un placement sans intérêts de 1,2 million pour cinq ans à Investissement Québec.

Dans la plupart des cas, les candidats versent une somme d’environ 300 000 $ à un intermédiaire financier. Celui-ci contracte un prêt et fournit la somme de 1,2 million à Investissement Québec au nom de son client. Il touche alors 22 % des revenus d’intérêts générés par Investissement Québec.

M. Jolin-Barrette s’explique mal que ces intermédiaires profitent autant du programme.

« Lorsqu’on regarde combien de millions ont été consacrés aux entreprises par le biais de ce programme, combien de millions ont été consacrés aux revenus pour les intermédiaires financiers, ils sont pratiquement équivalents, a relevé Simon Jolin-Barrette. Donc c’est important que les revenus associés aux investissements servent à aider l’économie québécoise. »

Seul au Canada

Le Québec est la seule province canadienne qui gère un programme d’immigrants investisseurs. Le gouvernement fédéral a aboli le sien sous Stephen Harper en 2014.

La Coalition avenir Québec a critiqué le programme lorsqu’elle était dans l’opposition. Des reportages ont révélé plusieurs abus au cours des dernières années.

Les critiques relèvent que la très grande majorité des immigrants investisseurs ne font que passer au Québec et qu’ils s’établissent plutôt à Toronto ou à Vancouver.

« Ce qui est important aussi, c’est de revoir le programme, parce que le taux de présence des immigrants investisseurs était de 17 %, a convenu Simon Jolin-Barrette. Ça, ça signifie que les gens prêtaient 1,2 million au gouvernement du Québec, obtenaient la résidence permanente, mais ne venaient pas s’établir au Québec. »

La suspension du programme durera huit mois. D’ici là, les candidats qui ont respecté les exigences et qui ont reçu un certificat de sélection continueront d’être accueillis au Québec à mesure qu’ils recevront leur résidence permanente du fédéral.

La mesure du gouvernement Legault a été critiquée par le Conseil du patronat du Québec (CPQ). Il rappelle que les sommes recueillies par Investissement Québec finançaient des mesures d’intégration à l’emploi des immigrants.

« Le gouvernement se prive ainsi de sommes importantes destinées à accompagner en emploi les immigrants et les minorités visibles, ce qui n’est certainement pas la chose à faire en cette période de rareté de main-d’œuvre », déplore le CPQ.

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