Une île et ses ponts
Chaque dimanche de l’année, un pan de l’histoire de Montréal vous est conté. Aujourd’hui, les ponts Jacques-Cartier et Victoria.
Une scène comme celle montrée ci-dessus rappelle que, Montréal étant une île, les ponts sont essentiels dans tous les aspects de son essor.
C’était vrai au XIX siècle lorsque les premiers ponts ferroviaires et routiers ont été construits tant sur les flancs nord que sud de l’île. C’était vrai à la fin des années 20, au moment où a été prise cette photo du pont Jacques-Cartier en devenir – qui était alors appelé pont du Havre. Et ça reste tout aussi vrai de nos jours.
Les deux premiers ponts ayant permis de relier Montréal au reste du continent étaient routiers et ont été aménagés sur la couronne Nord, donc avec l’île Jésus (aujourd’hui Laval) : les ponts Lachapelle (1836) et Viau (1847). Mais très vite, l’expansion des chemins de fer amène la construction de plusieurs ponts ferroviaires au-dessus du fleuve Saint-Laurent, de la rivière des Prairies et du lac des Deux Montagnes. Le pont Victoria, inauguré par le prince de Galles – le futur roi Édouard VII – le 25 août 1860, en est le meilleur exemple.
Quelques décennies plus tard, avec l’accroissement géographique et l’essor fulgurant de l’industrie automobile, la construction de nouveaux ponts routiers se fait pressante. Ainsi naît le projet du pont Jacques-Cartier.
Au milieu du XIX siècle, Montréal est la ville la plus prospère du pays. « La ville se révèle une véritable plaque tournante pour le commerce et le transport, dit l’historien Martin Landry, de Montréal en histoires. Sa position géographique enviable fait de l’île de Montréal un arrêt incontournable pour les navires de marchandises qui sillonnent le fleuve et qui pénètrent le continent, notamment grâce au canal de Lachine qui relie le Saint-Laurent aux Grands Lacs. »
Le port de Montréal est alors très sollicité. En parallèle, le chemin de fer est un moyen de transport en expansion. Comme certains tracés ferroviaires commencent à s’éloigner des grandes artères navigables, le train fait de plus en plus concurrence aux navires pour le déplacement des individus et l’expédition de marchandises.
Les autorités canadiennes, conscientes de cette situation, envisagent d’exploiter un chemin de fer reliant Montréal à Toronto. Cela mènera à la création de la compagnie du Grand-Tronc en 1852. Le projet sera concrétisé en quelques années, notamment avec l’inauguration (1854) d’un premier pont ferroviaire reliant Sainte-Anne-de-Bellevue à Vaudreuil en traversant l’île Perrot. Mais on en veut plus. La compagnie du Grand-Tronc souhaite un accès aux États-Unis et à la mer au moyen d’un autre chemin de fer, au sud de Montréal. D’ailleurs, dès 1846, des commissaires du port de Montréal comme des politiciens (George-Étienne Cartier, John A. Macdonald) formulent le même désir, indique Martin Landry.
C’est ainsi que les travaux de construction du pont Victoria s’amorcent le 24 mai 1854. Cinq ans et demi plus tard, le 12 décembre 1859, les ouvriers posent la dernière travée et le pont est ouvert à la circulation le 17 décembre. Avec ses 2,7 km, le pont Victoria devient alors le plus long du monde !
Le projet de construction d’un pont routier entre Montréal et la rive sud répond à un autre enjeu : la pression démographique couplée à l’émergence de l’automobile. « En 1920, la voie réservée aux automobiles du pont Victoria étant partiellement détruite par un incendie, le besoin d’un nouveau pont devient pressant », écrit Martin Landry.
Les travaux de la nouvelle infrastructure s’amorcent officiellement le 26 mai 1925 et exigent la destruction de bâtiments du quartier Sainte-Marie. Or, dans le secteur, Hector Barsalou, propriétaire d’une entreprise de savon, refuse l’expropriation de son usine. C’est pour cette raison que le tracé du pont décline légèrement sur la gauche quand on entre dans Montréal.
D’abord payant, le pont du Havre est ouvert à la circulation routière, cycliste et piétonne le 14 mai 1930 (la cérémonie officielle a lieu le 24 mai). Dans son numéro du 15 mai, rapporte que le premier piéton ayant traversé de la rive sud à Montréal était « un écolier qui se rendait à l’école Saint-Pierre ». Le premier automobiliste à se rendre sur la Rive-Sud s’appelait Henri Campeau et demeurait rue Champlain, ajoute le quotidien. Quatre ans plus tard, des pressions populaires, alimentées croit-on par les membres de l’Ordre de Jacques-Cartier, une société secrète composée pour la majorité de fonctionnaires fédéraux canadiens-français, exigeaient un nom francophone pour le pont, question de refléter l’héritage français du pays. Ça tombait bien, 1934 marquait le 400anniversaire de la découverte du Canada par Jacques-Cartier. Le 30 juin 1934, le pont du Havre devenait donc officiellement le pont Jacques-Cartier.