Opinion : Économie du Québec 

Sommes-nous devant un tournant ?

Depuis quelque temps, les nouvelles sont presque trop bonnes. La cote de crédit du Québec est aujourd’hui supérieure à celle de l’Ontario, du jamais vu. L’Ontario continue à afficher des déficits pendant que l’État québécois nage dans les surplus, un revirement historique.

Le taux de chômage du Québec est aujourd’hui au plus bas depuis que les statistiques existent (1976), en dessous de la moyenne canadienne, du jamais vu. L’Institut de la statistique du Québec a annoncé récemment que le revenu disponible des ménages québécois a connu sa plus forte progression depuis 10 ans.

Que conclure de toutes ces bonnes nouvelles ? Sommes-nous à la veille d’un tournant historique ? Le Québec cessera-t-il enfin d’être à la remorque des paiements de péréquation, triste démonstration de notre faiblesse économique ? Comme nous le verrons, les vents lui sont aujourd’hui favorables. Cependant, il est trop tôt pour crier victoire.

Une nouvelle géographie économique

En économie, tout avantage est relatif. La géographie économique du Canada est en train de changer. La bonne performance du Québec tient autant aux problèmes des autres qu’à nos exploits propres.

Regardons alors ce qui se passe ailleurs au Canada. Le recul de l’Alberta, vache à lait jusqu’à récemment de l’économie canadienne, ne nécessite pas de longues explications. La principale ressource de cette province géographiquement enclavée, le pétrole, est de moins en moins concurrentielle, changement qui annonce en principe la fin du pétrodollar (surévalué) tant dévastateur pour l’Ontario et le Québec. Sans pétrole, l’Alberta possède peu d’avantages. L’Alberta a déjà été une province pauvre, située dans les Prairies, région en déclin depuis la Grande Dépression des années 30.

Pour l’Alberta, le ralentissement à venir marquera un retour à la normale. La géographie est en train de reprendre ses droits.

Le retour à la normale de l’Ontario, autre contributeur traditionnel aux paiements de péréquation (du moins, jusqu’à la récession de 2008), exige plus d’explications. Sa croissance passée fut largement dopée par deux événements qui ne se reproduiront pas : a) le pacte Canada–États-Unis de l’automobile de 1965 et l’essor, en parallèle, de l’industrie automobile, devenue le socle de l’économie ontarienne ; b) l’exode montréalais des années 70 et 80 de capital humain et financier (surtout anglophone) dont Toronto fut le principal bénéficiaire, consolidant sa position comme place financière du pays, devenue l’autre socle de l’économie ontarienne.

Le fiasco de Mirabel (1975-2000), en détruisant le rôle de Montréal comme plaque tournante aérienne, n’a fait que renforcer la concentration de sièges sociaux et activités connexes à Toronto. Il a fallu attendre un quart de siècle pour que l’économie montréalaise (et donc aussi celle du Québec) retrouve sa santé.

Il ne faut pas exagérer les problèmes de l’Ontario. La province restera l’économie la plus forte du Canada, portée par le Grand Toronto, métropole de 6 millions d’habitants avec tous les avantages que cela implique. Cependant, elle ne pourra plus compter sur des stimulants artificiels pour propulser son économie. Par l’une de ces ironies dont l’histoire a le secret, ses avantages d’hier sont devenus des handicaps. Sa localisation dans le cœur industriel du continent n’est plus un atout ; bien au contraire. Le Sud ontarien, piégé entre les États américains de la Rust Belt (ceinture de la rouille), est en perte de vitesse, l’industrie automobile devenue un boulet. 

En parallèle, la concentration de la finance à Toronto, certes un avantage, a toutefois pour conséquence de rendre l’économie ontarienne plus sensible aux chocs cycliques – elle a été durement frappée par la récession de 2008 –, mais aussi de gonfler les salaires. À cela s’ajoutent des choix politiques, dont le choix du nucléaire pour l’électricité, sensiblement plus chère en Ontario qu’au Québec.

Le Québec gagnant, mais…

Face à l’Ontario, le Québec se trouve aujourd’hui avec une structure économique plus diversifiée, moins vulnérable, et une structure de coûts plus compétitive, renforcée par la faible mobilité géographique des travailleurs francophones. Le risque de perdre des travailleurs formés est moins grand au Québec, un avantage non négligeable pour des entreprises pour lesquelles la formation sur place constitue un coût majeur. 

L’avantage de coût joue notamment pour le secteur manufacturier qui compense largement, il faut le croire, la fiscalité québécoise plus lourde.

Depuis une vingtaine d’années, le centre de gravité de l’emploi manufacturier se déplace de l’Ontario vers le Québec : Lévis, Drummondville et d’autres villes moyennes étant parmi les gagnantes.

La géographie joue aussi en faveur du Québec. La Nouvelle-Angleterre a rebondi ; l’ouverture atlantique est redevenue un atout, tout comme l’accès direct au marché américain. L’Ontario ne possède ni grand port de conteneurs ni lien terrestre (sans ponts) avec le voisin du Sud ; ce qui n’est pas sans importance pour le transport de marchandises.

La contrepartie de ce succès incontestable, qui se manifeste notamment par des chiffres de l’emploi, est le risque que le Québec se cantonne dans des emplois de technologie intermédiaire, sans pour autant exclure des succès spécifiques dans des secteurs de pointe (intelligence artificielle ; jeux vidéo ; aéronautique…).

La productivité des entreprises québécoises reste en bas de la moyenne canadienne, en bonne partie le reflet des salaires plus faibles, mais aussi de l’écart persistant sur le plan de l’éducation, notamment pour la diplomation universitaire. C’est en partie le reflet d’un choix politique. Le Québec a beaucoup misé sur les cégeps, un franc succès, l’une des assises de sa belle performance manufacturière, notamment en région.

Bref, géographie avantageuse, main-d’œuvre stable avec une excellente formation de base, coûts concurrentiels, bon climat entrepreneurial et social favorable, autant de raisons pour que le Québec continue à afficher de bons résultats, notamment au titre de l’emploi.

La démographie constitue aujourd’hui le principal frein. Cependant, ce positionnement favorable du Québec annonce deux tendances en principe contradictoires : une province affichant une belle performance économique, mais bénéficiaire de paiements de péréquation (car toujours en bas de la moyenne pour le revenu imposable par habitant). C’est une excellente nouvelle pour le trésor québécois, mais présage aussi de durs moments lors de la prochaine ronde de renégociation du régime de péréquation.

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