Chronique

Gabriel dans la maison des fous

Il s’appelle Gabriel Vaillancourt. Il a 18 ans. Jeune homme intelligent et timide, passionné de mathématiques et de jeux vidéo, qui a un trouble du spectre de l’autisme (TSA). Une atteinte légère, sans déficience intellectuelle, qui lui impose son lot de défis, surtout sur le plan social.

En juin dernier, après avoir bravé bien des tempêtes, Gabriel a obtenu son diplôme d’études secondaires. Il avait peine à y croire. Sa mère aussi. Parce que même si Gabriel a beaucoup de potentiel, sa dernière année au secondaire a été marquée par des moments de grande anxiété où il avait des notes en dents de scie. Ils ont craint le naufrage. Lorsqu’ils ont atteint le rivage, ils étaient aussi heureux que surpris.

Gabriel a eu 18 ans le 23 juin, au moment même où il terminait ses études secondaires. Du jour au lendemain, il a eu l’impression de tomber dans le vide. Plus de soutien. Plus d’allocation d’aide. Plus rien. Mais heureusement, il a toujours sa mère à ses côtés, Annie Gauthier, qui se bat pour lui depuis qu’il est tout petit. Une mère qui a l’impression depuis des mois de s’être retrouvée dans la maison des fous pour aider son fils à trouver sa voie au collégial. « C’est vraiment comme les douze travaux d’Astérix ! »

Neuf mois après avoir terminé son secondaire, même s’il est déterminé à poursuivre ses études dans un domaine qui le passionne, Gabriel n’est toujours pas au cégep, faute d’avoir trouvé un programme dans lequel il se sentirait à l’aise. Pour lui, un programme régulier de cégep, avec des horaires décousus ou des cours obligatoires de français, ce serait « l’enfer », dit-il. Juste à y penser, il se sent paralysé. Il ne se voit pas du tout emprunter cette voie. Il a besoin de routine et d’un cadre strict pour réussir.

Lorsqu’il a vu passer une publicité pour une formation technique de programmeur de jeux vidéo menant à une attestation d’études collégiales (AEC), Gabriel a dit à sa mère :  « C’est ce que je veux faire ! »

Le programme, qui commençait le 5 février, semblait fait sur mesure pour lui. Des horaires réguliers. Un parcours court, concentré, dans un domaine qui le passionne. C’était d’ailleurs l’un des domaines que lui avait suggérés la conseillère en orientation que sa mère avait pris soin de consulter au privé.

La séance d’information avait lieu un soir de décembre dans un cégep à l’autre bout de la ville. Il y avait une grosse tempête de neige. Gabriel a insisté auprès de sa mère pour s’y rendre quand même. Pas question de manquer sa chance de poser sa candidature à un programme parfait pour lui. Parfait ? Finalement… non.

Ce soir-là, Gabriel a appris qu’il ne pouvait pas y être admis. Pourquoi donc ? Parce que cela faisait juste six mois qu’il avait fini son secondaire. Or, selon les règles fixées par Québec, pour avoir accès à une AEC, il faut avoir interrompu ses études pendant 12 mois. Et comme, en plus, la formation qui l’intéresse est financée par Emploi-Québec et réservée aux personnes sans emploi, les règles sont plus spécifiques encore : il faudrait qu’il ait décroché depuis au moins 24 mois.

Gabriel et sa mère ont cogné à la porte d’Emploi-Québec pour voir s’il pouvait quand même trouver une façon d’être admissible. Sa mère a pris une journée de congé pour l’accompagner. Une de plus… Ils ont rencontré un intervenant très compréhensif qui leur a fait remplir des formulaires. On leur a dit qu’on allait les rappeler.

« Deux jours plus tard, une dame a rappelé. Elle m’a dit qu’elle était bien désolée, mais qu’elle ne pouvait rien pour moi. Que si j’étais prestataire de l’aide sociale, peut-être que je serais plus admissible à ce genre de programme, mais pas de façon certaine. »

Gabriel n’avait pas frappé à la bonne porte. Et il avait beau chercher avec sa mère « la » bonne porte, celle qui lui donnerait accès rapidement au programme dont il rêve, il n’arrivait pas à trouver.

En désespoir de cause, sa mère a écrit une lettre à La Presse. Elle se demande ce qu’elle n’a pas fait correctement pour que son fils se retrouve dans ce cul-de-sac absurde… À quelle porte a-t-elle oublié de cogner ? Faudra-t-il vraiment que Gabriel se résigne à l’aide sociale ou décroche pour une autre année encore pour avoir accès au programme qui l’intéresse ? « C’est comme si on brisait son élan… Et je sais qu’il n’est pas le seul dans sa situation. »

J’ai cogné à une dizaine de portes pour tenter de répondre à ces questions. Ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur, Emploi-Québec, Fédération des cégeps, collèges, groupe de défense ou de soutien des personnes autistes, experts en adaptation scolaire… Conclusion : c’est vrai que ce n’est pas simple de trouver la bonne porte dans un tel cas… Mais la porte existe.

Ce cas est loin d’être isolé, me confirme Émilie Robert, conseillère d’orientation au collège Montmorency et spécialiste en intervention auprès des jeunes ayant un TSA. « Étant donné le profil cognitif atypique des personnes autistes, il arrive très souvent qu’un jeune ou un adulte autiste ait un grand potentiel d’apprentissage dans un domaine particulier, mais éprouve des difficultés à réussir toutes les exigences d’un programme de formation, surtout la formation générale collégiale. »

Le gouvernement du Québec a fait le choix de privilégier les programmes conduisant au diplôme d’études collégiales pour tous les élèves qui sortent du secondaire. Qu’ils aient un diagnostic ou pas n’y change rien. C’est la raison pour laquelle il restreint l’accès aux programmes conduisant à l’attestation d’études collégiales. « C’est un règlement du Ministère. On l’a contesté plusieurs fois », me dit Judith Laurier, de la Fédération des cégeps. « On souhaiterait plus de souplesse. »

Des services personnalisés adaptés permettant aux élèves ayant un TSA de réussir les cours qui ne correspondent pas à leur profil d’habiletés existent, notamment au collège Montmorency, qui a une expertise particulière en la matière. Cela donne souvent lieu à des réussites que les élèves eux-mêmes et leur entourage croyaient impossibles.

« On sous-estime malheureusement très souvent les personnes autistes, constate Émilie Robert. Elles se sous-estiment elles-mêmes. On serait étonné à quel point, lorsque les conditions sont bonnes et qu’une personne de confiance au collège est présente pour les soutenir et les aider, ces jeunes sont capables d’un beaucoup plus grand potentiel qu’on ne l’imaginait au départ. »

De façon générale, tous les cégeps ont l’obligation d’offrir des services adaptés aux élèves à besoins particuliers. Mais comme leur nombre a augmenté de façon vertigineuse ces dernières années – une augmentation de 700 % en sept ans des élèves dits « en situation de handicap » –, il est clair que les ressources n’ont pas suivi. On leur fait une place au primaire et au secondaire. Mais une fois au cégep, ça se complique.

La porte existe, donc. Il faut juste parfois ratisser tous les étages de la maison des fous pour la trouver.

« On aimerait juste que ce soit plus simple », me dit la mère de Gabriel.

Depuis le temps qu’elle se bat, elle a l’habitude. Elle n’entend pas se décourager. Elle cognera à toutes les portes du monde, s’il le faut. Mais qu’arrive-t-il aux jeunes dans la même situation dont les parents n’ont pas les moyens ou la force de se battre ?

« Ce serait bien qu’il y ait un guichet unique pour nous orienter… »

Pour l’heure, j’ai bien l’impression que le seul guichet unique qui existe porte un autre nom : ça s’appelle une mère dévouée.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.