Projet de loi sur l’exploitation sexuelle

« On repart à zéro », se désole Maria Mourani

L’ex-députée dénonce une nouvelle procédure entreprise par Ottawa au projet de loi C-38 qui retarde l'application de la loi

Les familles des jeunes fugueuses, qui militaient l’an dernier pour que le gouvernement applique enfin une loi sur l’exploitation sexuelle permettant aux policiers et aux procureurs de serrer la vis aux proxénètes, devront continuer à patienter. Une nouvelle procédure entreprise hier par le gouvernement Trudeau a pour effet de repousser encore l’application de la loi.

Le projet de loi C-38, présenté hier matin à la Chambre des communes, reprend deux des trois principaux articles du projet de loi présenté il y a six ans par l’ex-députée Maria Mourani. Ces articles prévoient notamment le renversement du fardeau de la preuve pour les proxénètes ainsi que la confiscation des produits de la criminalité dans les cas d’exploitation sexuelle.

Le projet de loi C-38 suspend cependant l’application du troisième article du projet de loi initial, qui prévoyait l’imposition de peines concurrentes lors d’infractions multiples commises par des proxénètes.

« Cette disposition soulève d'importantes préoccupations car elle est susceptible de mener à des peines grossièrement disproportionnées. De si longues peines pourraient être considérées comme contraire à la Charte des droits et libertés », a indiqué à La Presse Ian McLeod, porte-parole du ministère fédéral de la Justice.

C’est cet article, jugé possiblement inconstitutionnel par le gouvernement Trudeau, qui a fait en sorte que la loi parrainée par Mme Mourani n’a jamais été appliquée même si elle avait théoriquement franchi toutes les étapes d’une adoption.

En clair, la présentation du projet de loi C-38 reporte d’un an ou deux l’application d’une telle loi, puisque le document gouvernemental doit lui aussi franchir toutes les étapes de l’adoption d’une loi. « Bref, après un an de réflexion, on a accouché d’une souris, résume Maria Mourani, incapable de cacher son amertume. On repart à zéro. »

Aurait-on pu procéder autrement ? Certainement, croit Mme Mourani.

« On aurait simplement pu émettre un décret pour mettre la loi en vigueur et laisser les tribunaux décider si l’article sur les peines concurrentes est ou pas constitutionnel. » — Maria Mourani

Lors d’une réunion hier matin avec les autorités du ministère de la Justice, qui parraine le nouveau projet de loi C-38, Mme Mourani a soumis cette éventualité aux experts qui étaient au bout du fil. « Ils ont reconnu que oui, ils pourraient procéder ainsi. Je me demande vraiment pourquoi il a fallu un an de réflexion pour produire un projet de loi aussi simple, le genre de projet de loi que je n’ai jamais vu en 10 ans de politique. »

Nous avons demandé des explications au ministère de la Justice. Au moment de publier, personne ne nous avait rappelé.

Huit ans d’efforts

Maria Mourani cherche depuis 2009 à faire adopter une loi qui faciliterait le travail des policiers et des procureurs contre les proxénètes, qui se livrent à l’exploitation sexuelle de mineures. Le projet de loi est revenu sous les feux de la rampe au Québec l’an dernier, en raison des nombreuses fugues de jeunes filles, qui, dans plusieurs cas, se retrouvaient sous la coupe de tels proxénètes.

Mme Mourani a présenté une première fois son projet de loi en 2011, puis, en 2012. Le projet de loi a cheminé pendant trois ans devant les parlementaires, les comités et le Sénat. À toutes les étapes, le projet de loi a reçu un appui unanime de la Chambre.

« On a passé trois ans à consulter et reconsulter. Pendant ce temps, les gens attendent ! s’exclame-t-elle. M. Trudeau lui-même a voté pour ça ! Pour après venir nous dire, une fois qu’il est premier ministre, que l’un des articles serait, peut-être, inconstitutionnel. »

Cet article imposait des peines consécutives aux personnes reconnues coupables d’exploitation sexuelle. « Est-ce une peine cruelle que d’avoir une sentence de 15 ans pour avoir trafiqué, battu, violé des jeunes filles ? Laissons donc les tribunaux en décider ! »

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