Opinion

Il était une fois Mamie Henriette

En cette semaine de grand changement à Washington, j’aurais bien voulu saluer le départ du président Obama, car je suis de ceux qui croient que l’histoire le reconnaîtra comme l’un des grands présidents américains. Évidemment, il y a des sceptiques quant à son héritage politique, mais le temps leur fera certainement changer d’idée.

Le plus surprenant, c’est d’entendre dire qu’il a déçu les Afro-Américains parce qu’il n’a pas réussi à diminuer le racisme systémique en Amérique. À ce sujet, Ta-Nehisi Coates, auteur du best-seller international intitulé Une colère noire – Lettre à mon fils, répond : « Le Pakistan a eu Benazir Bhutto comme première ministre. Est-ce que son élection a amélioré la condition féminine dans son pays ? » Il est vrai que l’élection d’Obama a bousculé les perceptions et fait tomber quelques barrières, mais elle est loin d’être suffisante pour exorciser l’Amérique de ses démons, qui sont très profondément enracinés dans son histoire.

Cela dit, à la place de l’arrivée de Trump, je voudrais vous parler du départ d’une de mes grands-mères adoptives au Québec, Mamie Henriette, qui nous a quittés le 12 janvier.

Un jour, la vie a mis sur mon chemin cette grande dame, qui est rapidement devenue une source d’inspiration pour sa sagesse et sa philosophie de vie.

Originaire du Congo, elle est arrivée au Québec en 2000 pour assister sa fille qui avait des problèmes de santé. Après deux ans seulement, rongée par la solitude, elle fonde avec quelques aînées québécoises l’organisme Mamies immigrantes pour le développement et l’intégration (MIDI). Un lieu de rencontres et d’échanges pour, entre autres, aider les personnes immigrantes arrivées au pays à un âge avancé à vaincre la solitude et se refaire un réseau social.

Les mamies de MIDI deviendront alors des gardiennes d’expérience, des raconteuses d’histoires dans les écoles et les garderies, et offriront même des services de soutien à des proches aidants. Mamie Henriette voyait dans cet organisme une occasion de faire à la fois des rencontres intergénérationnelles et interculturelles.

La sagesse de Mamie Henriette

« Quand je suis arrivée au Québec, disait-elle, j’avais beaucoup d’écueils sur mon chemin. J’étais noire, femme, vieille et je venais d’un pays en guerre. Mais cela ne m’a pas empêchée de lutter pour trouver une place et être utile à ma société d’accueil. Nous arrivons tous avec un manteau sur le dos, et même si celui que je portais était bien lourd, je voulais l’alléger pour avoir une belle vie au Québec. Tu sais, Boucar, l’intégration ne se fait pas dans la passivité. Pour s’intégrer, il faut le vouloir et prendre les moyens. Il faut marcher vers les autres, s’intéresser à leur histoire, leurs symboles, et parfois ménager leur susceptibilité. Il faut ouvrir son cœur pour leur donner le goût de venir s’engouffrer dans nos bras et avec le temps l’intégration se fait dans les deux directions.

« L’immigration est une renaissance douloureuse, surtout pour ceux qui ne travaillent pas à empêcher l’araignée de la nostalgie et de la mélancolie de tisser sa toile dans leur nouveau berceau. Il y a des immigrants qui aboutissent inévitablement dans le mur de la déception parce qu’ils ont les yeux constamment rivés sur le rétroviseur. Mais je vais te dire, Boucar, seuls ceux qui persistent à regarder plus souvent devant réussissent à maîtriser cette légitime nostalgie et à cultiver et entretenir l’espoir d’atteindre un jour la lumière qui illuminait leurs rêves d’expatriés. »

Il était une fois une grande dame dont je voulais saluer la mémoire ! Que ton âme repose en paix dans cette nation que tu avais profondément adoptée, Mamie Henriette.

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