Mon clin d’œil

« Si Boeing a besoin d’aide pour réparer ses avions, ça nous ferait plaisir. »

— Bombardier

OPINION JOCELYN COULON

ALGÉRIE Une victoire à la Pyrrhus ?

La messe est dite. L’inamovible président algérien Abdelaziz Bouteflika a renoncé à se présenter pour un cinquième mandat et a annoncé du même coup le report de l’élection présidentielle à une date indéterminée. Les manifestants ont donc obtenu gain de cause. Mais cette victoire ne risque-t-elle pas de se transformer en défaite ?

Le régime en place en Algérie a plus d’un tour dans son sac. Il gouverne le pays sans interruption depuis l’indépendance en 1962 grâce à l’auréole révolutionnaire acquise pendant la courageuse insurrection contre le colonisateur français. Cela a longtemps fait illusion et lui a permis de traverser de nombreuses épreuves, dont celle des années 90 où une rébellion islamiste a bien failli tout balayer comme ce fut le cas en Iran en 1979.

Les Algériens ont appris de ces années noires où quelque 200 000 d’entre eux ont été tués tant par les islamistes que par les forces de sécurité au cours d’une guerre civile terrifiante. Lors du Printemps arabe de 2011, qui a touché une bonne demi-douzaine de pays et balayé les régimes au pouvoir en Tunisie, en Égypte et en Libye, l’Algérie est restée relativement calme devant des forces de sécurité déployées partout autour et dans la capitale.

Cela explique sans doute que lundi soir, à l’annonce du retrait de Bouteflika, les rues étaient vides. Les Algériens, pris entre l’incrédulité, la joie et la peur, sont restés chez eux.

Se pourrait-il qu’ils sentent que le pouvoir actuel est une hydre et qu’une tête coupée, même la plus importante, peut repousser immédiatement, éloignant ainsi toute perspective de changement ?

Jeunesse dynamique

L’Algérie n’est pas un pays pauvre. Il est riche de ses hydrocarbures dont il dépend trop (60 % du budget de l’État), ce qui fait souvent le malheur de nombreux pays (Libye, Iran, Venezuela). L’Algérie n’est jamais parvenue à diversifier son économie, laissant ainsi ses voisins, le Maroc et la Tunisie, attirer les investissements dans de nombreux domaines, dont le tourisme. Le pays est surtout riche de sa jeunesse, dynamique et de plus en plus entreprenante. Mais son taux de chômage frise les 30 %. C’est la jeunesse qui, encore, domine la contestation depuis un mois à travers des manifestations pacifiques, polies, dignes. Il faut le saluer.

La rue a ébranlé le pouvoir pour une des rares fois depuis l’indépendance. À l’intérieur même du régime, des fractures sont apparues à la faveur de l’agonie d’un président tellement impotent qu’il ne s’est pas adressé publiquement aux Algériens depuis 2013 ! Certains se demandent s’il est encore vivant tellement le théâtre d’ombres qu’est devenu le régime garde toute son opacité.

L’armée

Toutefois, une institution ne s’est pas encore prononcée : c’est l’armée, même si elle est largement complice des maux jamais solutionnés qui touchent ce pays depuis l’indépendance : chômage, corruption, mauvaise redistribution des richesses, émigration continue de la jeunesse. Et cela est mauvais signe pour le clan Bouteflika et pour une classe politique dont une bonne partie est compromise et coupée du reste de la population. On verra dans les prochains jours, demain sans doute, lors de ces grandes manifestations hebdomadaires, si elle va prendre parti.

Entre-temps, le gouvernement se démène. Il donne des gages, appelle à l’unité et lance quelques idées de réformes.

« Il y aura des élections libres », a promis le vice-premier ministre, lui aussi une éternelle fixture du régime. Mais le pluralisme existe depuis longtemps en Algérie. Les élections n’étaient donc pas libres ? Quel aveu ! Alors, comment le croire ?

Les dirigeants au pouvoir sont complètement discrédités. En même temps, il arrive parfois que les réformes tant souhaitées viennent de l’intérieur. Y a-t-il, au sein de ce régime, un Mikhaïl Gorbatchev qui pourrait lui préparer un enterrement de première classe, sans faire trop de dégâts ? Un homme, ou une femme, suffisamment crédible pour rassembler les espoirs de tout un peuple afin que les choses changent pour de bon ? Une personne pouvant assurer la transition, comme en Tunisie, en attendant un véritable scrutin présidentiel et législatif ?

Selon le géopoliticien français Pascal Boniface, à ce moment-ci, « le peuple mène à la mi-temps, Bouteflika vise les prolongations ». Comme en Égypte, lors du renversement de Hosni Moubarak, le départ du président risque de laisser intact un système qui s’affaire déjà à organiser une succession, sans remise en question. Si cela devait être le cas, alors les manifestants n’auront obtenu qu’une victoire à la Pyrrhus.

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