Basketball

Un ovni tombé du ciel

« Au début, dans le milieu de l’éducation, un travailleur social qui faisait du sport, c’était comme un ovni ! Ça ne fonctionnait pas. »

Celui qui lance cette phrase est l’ovni en question. C’est un entraîneur de basket que la plupart des gens en train de lire ce texte ne connaissent ni d’Ève ni d’Adam. Il s’appelle Martin Dusseault, il n’est manifestement pas coach du Canadien, il ne coache pas des pros, il ne coache même pas au hockey, c’est tout dire.

Dusseault est un travailleur social qui entraîne depuis 12 ans des jeunes au basketball. Il prend ces élèves du secondaire, pas mal tous issus de milieux défavorisés, aux prises avec des problèmes d’apprentissage, de comportement, souvent poqués par la vie bien avant leurs 18 ans… et il essaie de les raccrocher à l’école grâce au sport.

Environ 1200 de ces jeunes sont passés par son programme. Certains sont devenus avocats, diplomates, et d’autres jouent même au basketball chez les pros.

La plupart des Québécois ne le connaissent pas, mais Martin Dusseault est en train de recevoir une reconnaissance bien méritée par les temps qui courent. Un documentaire sur son expérience à l’école Jeanne-Mance de Montréal vient d’être fait par le réalisateur Robert Cornellier, qui a suivi pendant quatre ans l’« ovni » et ses jeunes.

Et jeudi soir, au Théâtre Outremont, Dusseault a reçu une médaille de l’Assemblée nationale des mains d’Amir Khadir. « C’est beau de voir des jeunes qui s’approprient l’école, qui s’identifient à l’école autrement que dans une relation d’adversité ou de difficulté », a expliqué le député de Québec solidaire.

Un outil de raccrochage

L’histoire du programme « Bien dans mes baskets » remonte à 2005. Dusseault, travailleur social, a décidé que le meilleur moyen d’entrer en contact avec les jeunes de cette école secondaire du Plateau, c’était par le sport. Il est donc devenu entraîneur des Dragons de Jeanne-Mance, l’équipe de basketball.

Au début, le projet de ce travailleur social qui relève du milieu de la santé n’était pas vu d’un bon œil par tous. « Au départ, je ne pensais pas que ce serait un succès. J’avais l’impression de ramer à contre-courant. À l’école, ce qu’on me disait, c’est que le sport était un privilège, se souvient-il. Je n’étais pas d’accord. Dans les CLSC, les travailleurs sociaux me disaient : “Toi, on sait ben, Martin, tu vas t’amuser avec les jeunes dans le gym.” Comme si ce n’était pas du vrai travail social ! »

L’idée de Dusseault, c’était de faire du sport à l’école un outil de raccrochage. Il ne se voyait pas faire comme d’autres entraîneurs : sortir un jeune de l’équipe parce qu’il avait un problème de comportement ou qu’il échouait à ses cours. C’était quasiment l’inverse : plus un jeune connaissait de difficultés, plus il avait sa place chez les Dragons.

« Souvent, le sport parascolaire est réservé à l’élite sportive et académique. Donc, si un jeune a des difficultés à l’école, des difficultés de comportement, on a tendance à le mettre de côté, explique Martin Dusseault. Nous, on a décidé de renverser ça. On veut travailler avec les jeunes en difficulté. Le sport en milieu scolaire est un outil pour créer des changements chez ces jeunes-là. »

Martin et les dragons

Quand le réalisateur Robert Cornellier a rencontré Martin Dusseault, il a tout de suite compris qu’il y avait un film à faire. Il n’avait pas un sou de financement, mais il a lancé la machine quand même, ce qui a donné le fascinant documentaire Martin et les Dragons.

« Je sentais que ce que Martin faisait était unique et important. C’est pour ça que je suis allé au bout du projet, même s’il n’y avait pas d’argent », explique le cinéaste.

Cornellier a tourné pendant deux ans, à raison de trois ou quatre fois par semaine. Il a vu des jeunes se transformer. « J’ai vu des jeunes qui arrivent, qui sont à peine fonctionnels, et qui après seulement un an sont des individus complètement différents. J’ai vu ça chez une dizaine de jeunes. Ça marchait simplement parce qu’il y avait autour des adultes qui prenaient le temps, qui les respectaient et qui les acceptaient comme ils étaient », dit-il.

« Ça m’a amené à me questionner sur la façon dont on traite les jeunes dans notre société. Martin n’a pas réinventé le bouton à quatre trous. Il prend le temps. Peut-être qu’on devrait être plus de monde à prendre le temps. »

Malheureusement, le documentaire a connu cet automne une sortie plutôt anonyme. Canal D l’a diffusé sans tambour ni trompette. Il n’y a pas encore moyen de le voir en ligne.

C’est dommage, mais ça ne change rien aux résultats du programme sur le terrain. Dusseault parle de l’un des jeunes qu’on suit dans le documentaire : « Lui, ils n’auraient pas été nombreux à parier qu’il finirait son secondaire. » Cet ancien est aujourd’hui à l’université.

« Ce sont des jeunes qui aiment le basket. Et quand ils se rendent compte qu’il faut réussir ses cours pour jouer, ils se mettent à réussir leurs cours une année à la fois, explique Martin Dusseault. Et un jour, ils se retrouvent au cégep, et des fois, ils se rendent à l’université… C’est un chemin qu’ils n’avaient pas prévu. »

Au fil des années, le projet « Bien dans mes baskets » a cessé de susciter la méfiance. L’Ordre des travailleurs sociaux manifeste son intérêt pour le programme, se réjouit Martin Dusseault. Il dit même être contacté sporadiquement par des travailleurs sociaux qui veulent en savoir plus.

L’expérience des Dragons semble enfin reconnue à sa juste valeur, et ce n’est pas fini. « Je ne sais pas combien de temps je vais continuer à faire ça, lâche Martin Dusseault. Mais je ne suis pas près d’arrêter. J’ai déjà mon équipe pour l’année prochaine ! »

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