DOCUMENTAIRE

Origines : chinoises, profession : propriétaires d’un dépanneur

Il fut un temps, au tournant du XXe siècle, où la majorité des Chinois de Montréal ouvraient des buanderies. Aujourd’hui, bon nombre d’entre eux reprennent… des dépanneurs. La documentariste Isabelle de Blois s’est intéressée aux Chinois « qui dépannent », en particulier dans les régions éloignées du Québec.

Qu’est-ce qui vous a donné l’idée de faire un documentaire sur les propriétaires de dépanneur en région ?

J’habite à Inverness, où les propriétaires du dépanneur sont chinois [Xu Jin et sa famille, que l’on voit dans le film]. Avec le temps, on a tissé des liens de confiance et d’amitié avec eux. C’est en faisant de la recherche sur le sujet que j’ai réalisé que c’était un véritable phénomène et qu’il y avait vraiment beaucoup de Chinois qui se lançaient dans cette aventure en région. Je pense que c’est important de témoigner de ce qui se passe à l’extérieur de Montréal. J’ai commencé à travailler sur le projet de film en novembre 2016.

Vous estimez que plus de 35 % des propriétaires de dépanneur – membres de l’Association des marchands dépanneurs et épiceries du Québec [AMDEQ] – sont d’origine chinoise. Comment expliquez-vous ça ?

Ils ont trouvé un créneau délaissé par les Québécois et ils s’entraident pour financer l’achat d’un dépanneur ou le fonds de commerce de l’ancien propriétaire. Ils se les vendent entre eux aussi lorsque l’un d’eux veut vendre ou acheter quelque chose de plus gros. La réalité, c’est que la plupart d’entre eux ont des diplômes universitaires qui ne sont pas reconnus au Québec et qu’ils ne parlent pas français (et même anglais), donc ils n’ont pas beaucoup de choix…

Vous abordez justement la question de la francisation…

Oui, il y en a plusieurs qui ont suivi des cours de français en arrivant au Québec, mais c’est un minimum. L’Association des marchands dépanneurs et épiciers du Québec offre aussi à ses membres des cours [gratuitement]. Ce sont des cours échelonnés dans le temps parce qu’ils travaillent tout le temps. Évidemment, la plupart des gens savent ce qu’ils veulent en entrant dans un dépanneur, donc les nouveaux propriétaires peuvent se débrouiller pour commencer. Ça leur laisse la chance d’apprendre la langue.

Un des propriétaires de dépanneur de Québec, Alex, explique comment l’information circule parmi les membres de la communauté chinoise, lorsqu’un dépanneur est à vendre, par exemple. Il y a un site web (en mandarin) qui regroupe ces informations…

Exactement, c’est un site qui s’adresse à tous les propriétaires chinois de dépanneur, qui est alimenté par les propriétaires eux-mêmes. Donc, ils ont accès à toutes sortes d’informations, le chiffre d’affaires du dépanneur, son prix de vente, etc. On retrouve aussi toute la réglementation relative à la vente de tabac et d’alcool, les aubaines pour certains produits. Dès qu’un membre de la famille ou de la communauté veut se lancer, c’est assez facile de l’aider à trouver le bon commerce et même à le financer.

On comprend que leurs horaires de travail sont difficiles, mais est-ce qu’ils gagnent bien leur vie ? La question n’est pas directement abordée.

Oui, parce qu’ils font beaucoup d’économies. Ils habitent souvent dans le même bâtiment que le dépanneur. Toute la famille travaille dans le commerce ou donne un coup de main (les grands-parents gardent les plus petits, par exemple). Et puis comme ils travaillent tout le temps, ils n’ont pas le temps de dépenser leur argent. Ils ne sortent pas au théâtre ou au resto. Par contre, ils ont assez d’argent pour envoyer leurs enfants dans des écoles privées, pour aller en Chine une fois par année ou pour aider un proche à s’installer ici.

Vous demandez à Alex si la prochaine génération de propriétaires sera chinoise et il vous répond que non. Que c’est pour lui transitoire…

Oui, c’est à cause de leur qualité de vie. Ils travaillent quand même tous les jours, jusqu’à 18 heures par jour, même s’ils le font toujours avec le sourire et qu’ils apprécient la liberté qu’ils ont à gérer leur dépanneur. On sait qu’ils viennent entre autres pour des raisons politiques, sociales ou environnementales, mais une fois arrivés, leur priorité est d’offrir un meilleur avenir à leurs enfants. Ils ne souhaitent pas que leurs enfants travaillent dans un dépanneur. D’où l’importance de l’éducation de leurs enfants.

Les dépanneurs que vous avez visités sont en région. Il doit y avoir une différence avec les dépanneurs qui sont en ville, non ? On est plus proche du magasin général que du dépanneur à proprement parler…

Oui, ce sont deux sujets. Je me suis vraiment attardée aux Chinois qui habitent en région, parce qu’ils sont vraiment isolés là-bas. Ce sont souvent les seuls étrangers du village, mais en même temps, j’ai trouvé qu’ils étaient mieux intégrés. Il ne faut pas oublier que lorsqu’un dépanneur ferme dans un petit village, c’est dramatique, donc les gens sont heureux de voir qu’ils sont repris. C’est un service qu’ils offrent à la communauté. Il y a même certaines familles qui cuisinent des spécialités chinoises qu’elles vendent en magasin.

Qu’est-ce qui vous a le plus surprise en faisant ce documentaire ?

Je m’imaginais parfois déménager dans un petit village chinois à vendre des produits que je ne connais pas dans une langue que je ne connais pas, loin des membres de ma famille, et il faut avouer que ce n’est pas facile pour eux. Mais ils sont discrets, travaillants, résilients. Il y a aussi une cohésion familiale. Ils vont toujours prioriser leurs enfants.

Les Chinois dépannent sera diffusé le 16 avril, à 22 h, sur les ondes d’Unis TV

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