Chronique

Apprendre à mourir, oui

Quel merveilleux dossier de Catherine Handfield et d’Alain Roberge sur la vie aux soins palliatifs, présenté hier et aujourd’hui dans La Presse+. Sur la vie, oui, il faut le dire, le répéter : la vie. Ce que Catherine a décrit et ce qu’Alain a photographié, ce n’est pas tant la mort qui approche que la vie qui se vit jusqu’au bout.

Hasard complet – parce que j’ignorais que Catherine et Alain préparaient ce dossier qui se conclut aujourd’hui – , j’ai écrit sur les soins palliatifs dimanche dernier, en racontant l’histoire de fin de vie de Ghislaine Messier, 67 ans, morte en janvier. Les derniers jours de Mme Messier ont été chaotiques, car elle a été admise aux soins palliatifs trop tard.

J’ai été débordé de courriels de témoignages après cette chronique. Sans doute parce que la mort est une des seules expériences vraiment universelles. Sans doute parce que nous avons tous eu à accompagner des proches dans la dernière ligne droite.

Dans ces témoignages, j’ai lu des récits absolument formidables et touchants sur des heures de grâce passées à accompagner un frère, une mère, une amie, un mari dans une maison ou dans une unité de soins palliatifs.

Et du lot, autant de témoignages bouleversants sur des Québécois qui n’ont pas eu cet immense privilège d’une « belle mort » : parfois en raison de ratés du système qui ont nié à ces personnes un accès aux soins palliatifs.

Mais le plus souvent parce que l’unité familiale – tant la personne qui est en fin de vie que ses proches – avait trop tardé avant de parler franchement de ce qui s’en venait, de ce que la personne malade souhaitait et ne souhaitait pas, de ce qui était faisable ou pas, quant aux derniers moments.

Retarder cette discussion, c’est créer les conditions pour la faire survenir dans les pires conditions, bien souvent. Quand la personne malade est si mal en point qu’il faudra passer par les urgences. Quand les proches se sont épuisés à soigner la personne à la maison le plus longtemps possible.

On meurt mieux aux soins palliatifs. Il faut le dire et le répéter. On meurt mieux aux soins palliatifs. Je sais que bien des gens émettent le souhait de mourir à la maison. La maison, c’est le socle, c’est l’ancrage, le lieu sacré où les souvenirs de vie ont été créés.

Mais ce n’est pas le meilleur endroit pour mourir, à tout prendre. Je le sais parce que je l’ai vécu, ma mère a attendu bien trop longtemps avant de quitter la sienne. Je le sais parce que j’ai entendu mille histoires déchirantes sur la difficulté de mourir à la maison.

Un ambulancier de ma connaissance a le mieux résumé les périls de mourir à la maison : « Si tu savais le nombre de personnes qui veulent mourir à la maison et qu’on va chercher dans leurs derniers moments pour les emmener à l’hôpital… Tout le monde croit qu’on meurt à la maison comme dans un film de Fellini, la mamma entourée de ses enfants qui lui tiennent la main, pendant que ses petits-enfants jouent au soleil dans le jardin fleuri. Mais ça ne se passe jamais comme ça : malgré toute leur bonne volonté, les familles sont rarement équipées pour gérer une fin de vie à domicile, ça donne des situations traumatisantes. »

Il peut y avoir des moments de grâce, disais-je, en fin de vie. Des confidences qui s’échangent, des mots de vérité trop longtemps retenus, des remerciements qui libèrent… Ces moments de grâce peuvent être pulvérisés, si on retarde l’entrée aux soins palliatifs, si on s’entête à mourir à la maison, si on se retrouve à mourir en catastrophe aux soins intensifs.

Aux soins palliatifs, les proches n’ont pas à être des soignants amateurs. Ils peuvent tenir leur meilleur rôle : aimer la personne qui vit ses derniers jours, une personne qui aime intensément tous ceux qui sont là. Parce qu’à la fin, ceux qui sont là sont ceux qui comptaient pour vrai.

J’écris que les morts à la maison sont difficiles, avec cette nuance : je sais qu’il y a des exceptions. Je sais qu’il y a des équipes volantes qui prodiguent des soins à domicile pour les patients en fin de vie. Je sais que des fondations militent pour ce type de fin de vie. Je ne dis pas que c’est impossible, une belle mort chez soi… Mais elle est sacrément plus complexe qu’on peut le penser.

Alors il faut en parler le plus tôt possible, ça fait partie du fait d’apprendre à mourir.

Dans tous les courriels que j’ai reçus dimanche dernier, bien des gens m’ont souligné en s’en désolant que la mort était encore un tabou, dans la société. C’est vrai… Mais ce n’est pas tout à fait complet comme explication. Il n’y a pas que la société – en fait, je dirais que la société avance. Voyez cette magistrale conversation que le Québec a eue avec lui-même, pour accoucher d’une loi pour encadrer l’aide médicale à mourir. On avance.

Mais dans le cœur des hommes et des femmes, il y a cette peur ancestrale de sa propre mort, une peur qui entraîne toutes sortes de dénis, qui remet toutes sortes de discussions. C’est peut-être François de La Rochefoucauld qui l’a dit avec le plus d’éloquence : « Le soleil ni la mort ne se peuvent regarder fixement. »

Parler de la mort, ça commence en soi-même.

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