Éditorial  États-Unis

Crier son avortement

Chez nos voisins du Sud, la question du financement de cliniques offrant des avortements ravive le débat entre pro-vie et pro-choix

L’avortement n’est jamais vécu de gaieté de cœur, mais il peut être profondément libérateur pour les femmes qui décident d’y avoir recours.

Ce message élémentaire fait scandale aux États-Unis, où de nombreux activistes pro-choix ont décidé récemment de témoigner en ligne de leur expérience personnelle en utilisant le mot-clé #Shoutyourabortion.

L’initiative, à l’origine de virulentes prises de bec avec des militants provie, vise à contrer le discours d’élus républicains qui menaçaient de s’en prendre au financement public de Planned Parenthood. L’association sans but lucratif chapeaute un réseau de 700 cliniques, qui offrent, notamment, des avortements.

Plusieurs représentants républicains – évoquant des allégations sans fondement de trafic de tissu fœtal – ont affirmé qu’ils s’opposeraient à toute loi budgétaire maintenant le financement public existant du réseau, même si leur initiative devait avoir pour effet de paralyser l’État fédéral.

À quelques heures de l’échéance, une entente excluant toute compression en matière de planification familiale a été formalisée hier pour éviter un tel scénario.

Le bras de fer politique, inspiré en partie de considérations électoralistes, cache la véritable bataille sur l’avortement, qui se déroule hors de Washington.

Selon le Guttmacher Institute, une organisation prochoix, les États américains ont entériné au cours des quatre dernières années près de 300 restrictions légales balisant l’accès à l’avortement.

Elles sont de nature diverse, mais ont toutes pour objectif de freiner ou de bloquer carrément les femmes qui souhaitent y avoir recours.

Certains États imposent des examens médicaux inutiles comme une échographie ou une lecture obligatoire sur les caractéristiques de l’embryon dans l’espoir de leur faire changer d’idée.

D’autres, disant agir pour assurer la « sécurité » des femmes, ont imposé des normes sanitaires inutilement élevées aux cliniques pratiquant l’avortement, compromettant leur viabilité financière.

Le Texas a voté une loi de ce type qui a entraîné la fermeture de dizaines de cliniques. Des milliers de femmes doivent désormais parcourir des centaines de kilomètres pour obtenir un avortement, parfois avec l’aide d’ONG qui assument les frais de déplacement et d’hôtel des plus démunies.

Plusieurs États ont aussi durci la loi relativement à l’avortement médicamenteux, qui constitue une solution de rechange populaire pour nombre de femmes dans le besoin.

Le magazine de gauche Mother Jones, prenant acte de la détérioration de l’accès à l’avortement au pays, affirme dans un récent article que « la guerre contre les femmes » est terminée et qu’elles ont « perdu ».

Le constat est accrocheur mais réducteur, puisque l’avortement demeure légal aux États-Unis. La situation n’en demeure pas moins préoccupante.

L’offensive juridique en cours restreint de manière indue un droit reconnu par la Cour suprême américaine à l’issue d’un jugement historique – Roe v. Wade. Le mouvement provie rêve de le faire renverser, mais ce n’est, pour l’heure, qu’un rêve.

Tenter dans l’intervalle de restreindre l’accès à l’avortement par des mesures ciblées contrevient à l’esprit du jugement. Justifier son action par l’intérêt des femmes tient par ailleurs de la plus parfaite hypocrisie.

L’intervention publique de femmes qui affirment avoir reçu un avortement – aussi choquante soit-elle pour ceux qui considèrent l’embryon comme un être humain à part entière – vient le rappeler avec clarté.

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