Chronique

Empoisonneuse de New Delhi ou femme pieuse de Lévis ?

Qui était la véritable Marie-Andrée Leclerc, cette secrétaire médicale de Lévis au cœur de la captivante minisérie Le Serpent de Netflix ?

Une pauvre victime du psychopathe Charles Sobhraj, qui l’a séquestrée en lui confisquant son passeport et tout son argent ? Ou la complice d’une vingtaine de meurtres, entichée de cette vie des gens riches et célèbres que lui offrait son nouvel amoureux d’origine indo-vietnamienne ?

Plus de 45 ans après les évènements, c’est impossible de trancher avec certitude. Encore aujourd’hui, des gens qui l’ont côtoyée croient dur comme fer en l’innocence de Marie-Andrée Leclerc. Pour d’autres, c’est évident que cette jeune femme pieuse savait ce qui se tramait de très glauque dans l’appartement de Bangkok où elle et le Français Charles Sobhraj, alias Alain Gautier, ont habité pendant plusieurs mois.

C’est le cas de Pierre Champagne, 76 ans, journaliste retraité du quotidien Le Soleil. En novembre 1976, le reporter s’est rendu à New Delhi, où a été incarcérée Marie-Andrée Leclerc, en fin de cavale. Sur place, se trouvaient aussi l’avocat Daniel Rock, la journaliste Huguette Laprise de La Presse et la sœur de Marie-Andrée Leclerc, Denise Leclerc.

« Je ne pense pas que Marie-Andrée Leclerc ait tué de sa main. Mais c’est elle qui servait d’appât et qui attirait les touristes. Et c’est elle qui mettait le poison dans le café. Elle aimait ce type de vie de luxe. »

— Pierre Champagne, journaliste retraité du quotidien Le Soleil

Selon lui, toute sa famille l’appelait alors Andrée Leclerc, et non Marie-Andrée Leclerc, le nom pourtant inscrit sur son passeport. Et lors de son premier voyage en Inde, où elle a croisé Charles Sobhraj, la frêle Marie-Andrée Leclerc, alors âgée de 29 ans, était accompagnée d’un curé de Lévis, qui était son ancien amoureux. On l’aperçoit brièvement dans le deuxième épisode de la populaire minisérie Le Serpent, coproduite par la BBC.

Cette information n’a pas été révélée à l’époque. « Tout ça, c’est une histoire de sexe. Mais la série Le Serpent ne le montre pas », affirme Pierre Champagne.

Jointe lundi, Denise Leclerc a préféré ne pas commenter tout ce qui entoure les déboires de sa sœur dans le Sud-Est asiatique. « Le jour où Marie-Andrée est décédée [en avril 1984], j’ai décidé de sortir de ce qui avait trop longtemps occupé ma vie, mes pensées et ma personne. C’était une question de santé. Je suis certaine que vous me comprendrez », m’a répondu Denise Leclerc, qui a longtemps travaillé comme représentante des ventes au journal Le Soleil.

De son côté, le criminaliste Daniel Rock, embauché par la famille Leclerc en 1976, n’en démord pas : Marie-Andrée Leclerc, qui a toujours nié son implication dans les meurtres, a été piégée par le tueur en série Charles Sobhraj, joué par Tahar Rahim dans la série.

« Je la crois. Marie-Andrée a été séduite par Sobhraj. Il lui a confisqué son passeport. Cet homme-là a passé sa vie à mentir. C’est un sale, un minable. »

— Le criminaliste Daniel Rock

Entre leur premier regard échangé au Cachemire au printemps 1975 et leurs retrouvailles à Bangkok, à l’été de la même année, Charles Sobhraj a écrit des lettres enflammées à Marie-Andrée Leclerc, « presque tous les jours, pendant deux à trois mois », précise l’avocat Daniel Rock, qui a lu leur correspondance. « Il lui téléphonait aussi deux ou trois fois par semaine. Elle a été éblouie », ajoute-t-il.

En attendant le début de son procès pour sa complicité dans le meurtre de deux touristes, un Français et un Israélien, Marie-Andrée Leclerc a été transférée dans une communauté religieuse de Varanasi, une ville sacrée de l’Inde. C’est à cet endroit que le père capucin québécois Alain Picard l’a croisée plusieurs fois, à la fin des années 70 et au début des années 80. « Elle habitait chez les religieuses de l’école des petits aveugles. C’était une bonne jeune fille, qui n’était pas au courant de tout ce que Sobhraj faisait. Il avait pris le contrôle sur elle. Elle avait très peur de lui. Marie-Andrée venait d’une bonne famille, très simple », se souvient le père Alain Picard, aujourd’hui âgé de 92 ans.

Quand Marie-Andrée Leclerc a pu rentrer au Québec en juillet 1983, pour y soigner un cancer de l’utérus, c’est le père Alain Picard, missionnaire en Inde de 1955 à 1987, qui l’a conduite à l’aéroport de New Delhi.

Le Serpent met peu de l’avant la piété de Marie-Andrée Leclerc. Dans les derniers épisodes, on la voit récupérer son chapelet et se confesser à l’église, mais ça s’arrête là. « Sa foi l’a beaucoup aidée pendant son incarcération », rappelle pourtant le père Picard.

Marie-Andrée Leclerc a raconté sa version, empreinte de mysticisme, dans le livre Je reviens, publié à l’automne 1983. Elle s’y positionne en victime subjuguée du charismatique Charles Sobhraj et nie avoir été amoureuse de lui, contrairement à ce qu’elle a consigné dans son journal intime, récupéré par la branche thaïlandaise d’Interpol.

La journaliste Huguette Laprise, de La Presse, qui a publié l’ouvrage L’affaire Marie-Andrée Leclerc en 1977, a émis de sérieux doutes sur la naïveté de Marie-Andrée Leclerc, qui jurait n’avoir rien vu, rien entendu des gestes horribles de son compagnon de vie. Mme Laprise est morte en août 2011.

Coupable ou non, Marie-Andrée Leclerc, connue sous le nom de Monique en Asie, a mené une vie digne d’un roman policier aux côtés de Charles Sobhraj, commerçant de pierres précieuses et bandit des grands chemins. Les huit épisodes du Serpent le démontrent avec une impressionnante quantité de détails.

Là où ça se gâche, c’est dans le jeu de l’actrice choisie pour camper cette modeste secrétaire de Lévis. Jenna Coleman parle un français atroce, à la limite du compréhensible. C’est vraiment gênant et dérangeant. D’autant plus que les comédiens qui l’entourent s’expriment parfaitement dans notre langue.

Au deuxième épisode, une voisine de Marie-Andrée « Monique » Leclerc à Bangkok lui confie même, en fumant une 73e cigarette, qu’elle est « beaucoup trop sophistiquée pour être une Québécoise ». Ça non plus, ça ne passe pas super bien, mettons.

Le Serpent montre plusieurs fois Marie-Andrée Leclerc brasser de la poudre blanche dans les cocktails toxiques qu’elle et Charles Sobhraj servaient à des touristes, pour ensuite les détrousser et voler leurs passeports. Seuls Charles Sobhraj et son bras droit, Ajay (Amesh Edireweera), se débarrassent cependant des corps.

Toujours dans la série, Marie-Andrée Leclerc rabat des « clients » pour Sobhraj. Et elle ne s’émeut visiblement pas du sort que subiront ces personnes, même qu’elle se sert de leurs papiers d’identité pour voyager.

En août 1976, c’est un reportage publié dans le magazine Asiaweek, intitulé « The Bikini Killings », qui a révélé au monde entier l’existence de Marie-Andrée Leclerc. Les photos auraient ensuite été reprises par Paris Match et ce fut le début de la fin pour ces Bonnie et Clyde, qui ont fait des victimes au Népal, à Hong Kong, en Thaïlande et en Inde.

Le chiffrier du week-end

Le temps plus frais a ramené les Québécois devant leur téléviseur le week-end dernier. Dimanche soir, la première demi-finale de Star Académie à TVA a été vue par 1 402 000 téléspectateurs. À Radio-Canada, l’audience de Tout le monde en parle a franchi le cap du million pour atteindre 1 104 000 adeptes, tout comme Vlog, regardé par 1 050 000 personnes.

Sur Noovo, Le dernier confessionnal de Big Brother Célébrités a intéressé 477 000 fans. Samedi, le très bel hommage à Michel Louvain d’En direct de l’univers a obtenu une cote d’écoute de 1 515 000 téléphiles. Il s’agit d’un record en 12 saisons pour l’émission musicale de Radio-Canada, en excluant les éditions du 31 décembre.

Au sujet de Michel Louvain, j’ai écrit lundi que son conjoint s’appelait Mario Théroux, alors que son nom est Mario Théberge. Mes excuses.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.