Chronique

Je n’ai pas d’enfants, vous me devez un remboursement !

Je ne connaissais pas la blogueuse Bianca Longpré. Un brouhaha provenant des réseaux sociaux me l’a fait découvrir cette semaine.

Bianca Longpré a publié un texte d’opinion mardi dernier qui s’intitulait « T’as pas d’enfant, tu m’en dois une ! ». Dans ce billet publié dans la section des blogues du Huffington Post, cette mère de quatre enfants dit grosso modo que les « peureux » qui n’ont pas d’enfants devraient « cotiser » davantage.

Voici un extrait de ce texte qui en a enflammé plus d’un : « Pendant une vingtaine d’années, les hommes et les femmes qui ont décidé d’avoir des enfants font des sacrifices qui leur apportent fierté et amour, mais ils fournissent aussi à la société ce qu’il y a de plus précieux : les kids. Donc ceux qui choisissent de pouvoir dormir le matin et de ne pas redonner tout ce qu’ils ont reçu nous en doivent une. En gardant pour eux tout leur temps, tout leur argent, toutes leurs valeurs, tout leur sommeil, les “sans enfant” devraient cotiser davantage que ceux “avec enfant”. »

Eh boy ! J’ai avalé de travers mes Cheerios en lisant ! Je trouve formidable que Bianca Longpré et son conjoint, l’humoriste François Massicotte, aient adopté trois enfants (le quatrième est d’une union précédente de François Massicotte). Je suis admiratif devant ces parents. Oui, je vous trouve extraordinaires, généreux, patients, altruistes, magnanimes, et tout ce que vous voulez. Mais moi, en tant que « sans enfant », je ne peux faire que cela : être admiratif !

Avoir des enfants, c’est un choix qui ne regarde que la personne qui décide d’engendrer ou d’adopter. Il n’y a personne qui a dit que tous les êtres humains devaient procréer. D’ailleurs, si tout le monde faisait des bébés, on aurait un problème de surpopulation dans certains pays.

Tant mieux si avoir des enfants donne un sens à la vie de ceux qui en ont. Mais ne dites pas à ceux qui n’en ont pas qu’il faudrait qu’ils posent des gestes ou qu’ils offrent plus d’argent afin de bien participer à ce grand projet de société qu’est le nôtre.

Parlant de projet de société, Bianca Longpré oublie que les « sans enfant » payent chaque année des taxes scolaires et qu’une partie de leurs impôts servent à payer les garderies et le système d’éducation aux enfants qu’ils n’ont pas. Les entendez-vous râler ?

Je pourrais m’emparer de l’argument de Bianca Longpré et en faire le mien : « Je n’ai pas d’enfants, je paye pour les vôtres, donc vous me devez un remboursement ! » Je n’en pense pas un traître mot, bien sûr.

J’ai passé un coup de fil à Bianca Longpré vendredi. Visiblement, elle n’avait pas prévu la volée de bois vert à laquelle elle a eu droit de la part de gens qui se sont sentis insultés. Elle ne regrette pas d’avoir signé ce texte, mais si elle devait le réécrire, elle y mettrait plus de nuances.

Elle n’avait peut-être pas suffisamment tenu compte de ce que de plus en plus d’adultes font aujourd’hui le choix de ne pas avoir d’enfant. Les femmes ont des carrières exigeantes, comme les hommes, et la décision d’avoir ou pas un enfant est une question cruciale, carrément existentielle. Elle est directement liée à notre époque.

Il y a une culture persistante de la culpabilité qui entoure les « sans enfant », surtout pour les femmes. Quand tu dis autour d’une table que tu n’as pas d’enfant et que tu es épanoui, tu es tout de suite perçu comme un sale égoïste. Un jour, lors d’un repas avec des amis (des parents pour la plupart), j’ai évoqué deux études britanniques sérieuses. La première disait qu’avoir des enfants ne rendait pas plus heureux et la seconde n’hésitait pas à affirmer que les adultes sans enfant étaient plus épanouis. J’ai failli recevoir le gigot d’agneau par la tête.

Bianca Longpré dit qu’elle a voulu avoir des enfants pour redonner ce qu’elle avait reçu. La transmission du savoir et de l’amour est en effet l’une des raisons qui poussent un adulte à avoir un enfant. Mais il faut savoir qu’il y a d’autres façons de redonner. On peut être un grand frère ou une grande sœur pour un jeune qui n’en a pas, un mentor, un aidant naturel, un parrain…

D’ailleurs, tiens, ça me fait penser ! Ça fait des jours que je me dis qu’il faut que je trouve une journée pour mon filleul.

Maudite culpabilité !

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