Chronique 

L’exil forcé de David La Haye

David La Haye était l’une des têtes d’affiche du cinéma québécois dans les années 90. Prix Génie du meilleur acteur pour L’enfant d’eau de Robert Ménard (1996). Une coqueluche de la critique. « Un Burt Lancaster jeune », écrivait à son sujet le regretté collègue Luc Perreault. Puis, du jour au lendemain, La Haye a pratiquement disparu du grand écran. Les premiers rôles se sont faits plus rares, jusqu’à ce qu’il n’y en ait plus du tout.

À 50 ans, David La Haye dit avoir dû s’exiler en Californie afin de trouver du travail, tellement il s’en fait peu offrir au Québec. Il a vendu son loft montréalais et habite depuis l’an dernier avec une colocataire, dans un petit appartement de Los Angeles. Lorsqu’il est de passage à Montréal, pour quelques jours de tournage – il tient ces jours-ci un second rôle dans Hochelaga, terre des âmes de François Girard –, il loge dans un modeste appart-hôtel de la rue Saint-Denis.

« Si je suis en Californie en ce moment, c’est à cause d’une énorme peine d’amour avec le cinéma québécois. Une peine d’amour professionnelle qui fait aussi mal qu’une peine d’amour personnelle. Avec le temps, elle ne s’atténue pas ; elle grandit. Moins tu as de travail, plus la douleur est profonde.»

— David La Haye

« Je n’ai pas tourné de premier rôle au cinéma depuis 2005 », ajoute-t-il.

L’acteur est fébrile, rassemblant ses idées en faisant les cent pas dans sa chambre, du lit d’hôtel où est posée sa valise à la table où se trouvent, dans son ordinateur, les preuves indirectes de ce qu’il veut me dévoiler depuis plusieurs semaines déjà.

À l’automne 1999, le comédien a appris qu’un rôle qui lui était destiné avait plutôt été confié à un autre acteur, après des pressions de la Société de développement des entreprises culturelles du Québec (SODEC) auprès d’un jeune cinéaste en demande de subventions. « On lui a dit de penser à quelqu’un d’autre. Ça m’a démoli complètement. J’ai marché pendant trois jours comme un zombie. Je ne comprenais pas comment la SODEC pouvait s’arroger le droit de me mettre sur une blacklist. »

Il estime avoir souffert de cette ingérence tout au long de sa carrière (il évoque des incidents semblables en 2009 et en 2011). Les producteurs et distributeurs ont cessé de faire appel à lui, croit-il, soit directement parce qu’ils savaient qu’il était « barré » par la SODEC, soit indirectement parce qu’il travaillait de moins en moins. « À partir de 1999, s’est installée une espèce de fragilité, me confie-t-il. Un manque de confiance, de bonheur et d’insouciance. Une perte de revenus, de sommeil et de statut social aussi. Ça m’a fait excessivement mal. »

Démenti de la SODEC

Est-ce que la SODEC s’ingère dans le choix des acteurs ? « Voyons donc ! La SODEC ne fait pas ça ! répond du tac au tac sa présidente Monique Simard, en poste depuis 2013. Souvent, on n’a même pas la liste des acteurs lorsqu’un producteur nous soumet un projet. Et ce n’est certainement pas la première chose qui nous influence ! Ce sont les producteurs qui choisissent les acteurs. C’est à eux qu’il faudrait poser la question. »

David La Haye, lui, dit avoir dû se battre en audition pour tous les rôles qu’il a obtenus depuis sa sortie de l’école de théâtre, en 1988. « Contrairement à une poignée d’acteurs de ma génération, qui avaient les rôles sans audition après le succès d’une télésérie, par exemple, et qui n’ont jamais eu à en passer depuis. C’est pour ça qu’on voit toujours les mêmes visages. Même s’il a été démontré que ce ne sont pas les acteurs qui font courir les foules, mais les projets bien écrits et bien réalisés. Les acteurs qui génèrent automatiquement du box-office au Québec, ça n’existe pas. »

La Haye n’est pas le seul à dénoncer ce régime du deux poids, deux mesures dans l’attribution des rôles. Le jeune comédien Maxime Tremblay regrettait, début octobre, de n’avoir passé aucune audition en huit ans pour un premier rôle dramatique. « Ne pas avoir accès aux auditions, dans un contexte où les budgets et les conditions de travail se détériorent, c’est carrément honteux ! », écrivait-il dans nos pages Débats.

« On parle d’argent public », rappelait Tremblay, en se désolant que tous se renvoient la balle : le réalisateur qui dit se faire imposer des « gros noms » par le producteur, le producteur qui rappelle qu’il faut des vedettes pour intéresser les diffuseurs et les diffuseurs qui rétorquent que c’est le public qui réclame les fameux « A » du star-système. Et le serpent de se mordre la queue…

Roger Frappier et l’ingérence 

Cette semaine, le producteur Roger Frappier a dénoncé à son tour, sur la plateforme Éléphant, l’ingérence des distributeurs et des institutions dans le choix de la distribution des longs métrages québécois. Le producteur du Déclin de l’empire américain, excédé par les délais d’attribution des subventions pour son plus récent film (Hochelaga, terre des âmes), s’élève contre « tous ceux et celles qui, dans les institutions, ont tous leur opinion sur le casting ».

« On fait comme si c’étaient des fonds privés, comme si on était à Hollywood, alors que ce sont des fonds publics ! renchérit David La Haye. Tout le monde devrait avoir droit à sa chance. Pourquoi ce sont toujours les mêmes qui ont cette chance-là ? Comment des fonctionnaires de l’État peuvent-ils empêcher un acteur pigiste de travailler en faisant de l’ingérence ? C’est scandaleux. »

Entre 1999 et 2005, La Haye a tout de même interprété des premiers rôles (pour Un crabe dans la tête et Nouvelle-France), qu’il dit avoir obtenus « parce que les subventions étaient déjà octroyées ». Il s’emballe lorsqu’on lui fait remarquer qu’il n’est sans doute pas le seul acteur à faire les frais du star-système et que certains pourraient le trouver paranoïaque. La blessure du rejet, manifestement, est toujours vive.

« J’aimerais ça, revenir plus souvent à Montréal pour voir ma famille, ce que je ne peux pas me permettre. J’aimerais ça, avoir une femme et des enfants, ce que je ne peux pas me permettre. J’aimerais ça, avoir un condo ou une maison, ce que je ne peux pas me permettre. » 

« J’ai perdu mon temps, mon argent et mon énergie depuis 2005 à essayer de faire ma place dans le cinéma au Québec. »

— David La Haye

David La Haye, qui espère tourner dans la suite de la minisérie Lewis and Clark à HBO – et qui remercie son agente à Los Angeles de lui avoir redonné confiance en lui –, considère qu’il est victime d’une mauvaise réputation fondée sur une fausse rumeur.

« Je ne suis jamais arrivé en retard, je n’ai jamais manqué une journée de tournage, j’ai toujours su mon texte. Mon casier judiciaire est vierge, je ne me suis jamais battu, je ne suis jamais allé en prison. Il n’y a jamais eu de drame. Alors pourquoi on m’empêche de travailler ? »

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