Opinion : Transport

Concilier forces mondiales et pensée locale 

Les principes de l’investissement dans les infrastructures urbaines de transport au Canada

En ces temps incertains où règne une anxiété concernant l’avenir du monde, les trois plus grandes régions urbaines du Canada – Montréal, Toronto et Vancouver – sont souvent présentées comme des exemples de tranquillité et d’habitabilité urbaines, des lieux qui méritent d’être considérés en termes politiques et financiers.

Comme les investisseurs étrangers ont accru leurs achats de biens immobiliers au Canada, il devient nécessaire de prendre en compte le rôle du capital mondial dans l’édification des villes canadiennes. En fait, les marchés mondiaux ont eu une influence déterminante sur la configuration des villes au Canada depuis que le commerce de la fourrure a dicté l’emplacement des premières villes de ce pays. Alors que nous développons notre résilience pour faire face aux défis climatiques et énergétiques du XXIe siècle, nous pouvons tirer des leçons de la façon dont le commerce et le transport ont façonné les villes canadiennes.

En étudiant les données et les impacts des principales infrastructures de transport à Montréal, Toronto et Vancouver au cours du XXe siècle, nous avons mis au jour deux stratégies alternatives ainsi qu’un élément de pensée magique.

Ceux-ci ont permis de trouver des solutions aux défis politiques découlant de la nécessité de concevoir des systèmes de transport urbains et suburbains. Ces stratégies suggèrent différentes options dont les gouvernements actuels pourraient s’inspirer pour stimuler les futurs investissements dans les grandes infrastructures de transport. Et c’est dans la pensée magique qu’il faudra puiser pour surmonter les obstacles probables à ces investissements.

Événements mondiaux

Montréal et Vancouver ont toutes les deux accueilli avec enthousiasme les méga-événements mondiaux, les considérant comme des catalyseurs du développement des infrastructures de transport. Inviter le monde entier à des célébrations sportives, culturelles et commerciales dans leurs grandes villes a grandement stimulé l’imagination des Canadiens et permis de surmonter les mesures d’austérité qui contribuent souvent à appauvrir notre domaine public. Une fois qu’ils ont pris conscience que le regard du monde entier se tournera vers eux, même les politiciens les plus avares et les mandarins les plus prudents comprennent soudain l’importance de financer la construction de métros et de voies express, car c’est un héritage qui perdurera longtemps après la fin de la fête.

L’investissement en matière de transport à Montréal et Vancouver comporte des similitudes évidentes : une exposition internationale (1967 à Montréal et 1986 à Vancouver) qui a lancé la réalisation d’une série de grands projets d’infrastructures. Par la suite, les Jeux olympiques (1976 à Montréal et 2010 à Vancouver) ont permis d’améliorer ces infrastructures. La principale différence dans le développement des infrastructures de ces deux villes réside dans le fait que, en 1986, la construction de voies express dans le tissu urbain n’avait plus la cote, et ce, pour des raisons évidentes. Vancouver a ainsi construit davantage de structures de transports en commun rapide que Montréal, mais les voies express ont été déplacées dans ses banlieues environnantes.

Toronto a élaboré une stratégie d’investissement en infrastructures « made in Canada » qui diffère considérablement de celles de Montréal et Vancouver.

Toronto a conduit le Canada à un développement des transports en commun rapides en ouvrant la ligne de métro de la rue Yonge en 1954, parce que son agence municipale, aujourd’hui la Toronto Transit Commission (TTC), disposait d’une capacité fiscale que les agences de transports en commun actuelles pourraient difficilement imaginer même dans leurs rêves les plus fous.

La TTC a financé le métro de la rue Yonge grâce à un excédent d’exploitation accumulé pendant et après la Seconde Guerre mondiale. Aucune nouvelle taxe ou allocation budgétaire importante du gouvernement n’ont été nécessaires. Investir un profit dans les transports en commun n’est pas un miracle qui n’est possible que dans des mégapoles comme Hong Kong ou Tokyo. Cela s’est passé à Toronto, au moment de lancer les transports en commun rapides au Canada.

Les gouvernements municipal et provincial ont partagé les coûts de construction de la voie express de Toronto. Lorsque les protestations locales ont mis à jour les problèmes créés par le tracé de cette infrastructure traversant des communautés florissantes, les responsables provinciaux ont retiré la contribution fiscale à la tristement célèbre Spadina Expressway et ont ensuite cessé d’investir dans d’autres autoroutes urbaines à Toronto.

La ville s’est donc retrouvée avec un modèle endogène de développement d’infrastructures. Celui-ci nécessitait l’accumulation de revenus excédentaires provenant des usagers des transports en commun (situation qui a pris fin dans les années 1960) ou la conclusion d’ententes avec différents ordres de gouvernement dans le but de financer les coûteuses infrastructures de transport. Une telle convergence de vue sur des investissements majeurs en matière de transport a été rarement observée au cours des dernières décennies.

Quelle que soit la stratégie utilisée, la pensée magique qui a permis les investissements dans le transport urbain au Canada est ce que nous appelons une équivoque politique, soit la prise en charge politique du développement des infrastructures qui façonnent les villes et les banlieues de manière conflictuelle.

« Vienne entourée par Phoenix », telle est l’expression utilisée par le responsable de la planification de la TTC pour décrire les conséquences de la construction parallèle d’un réseau de transports en commun rapides et de voies express. Cette ambiguïté pragmatique a caractérisé la politique canadienne et permis à notre fédération de résister à des conflits beaucoup plus importants. Il reste à voir comment cette équivoque pourrait guider nos villes au cours de la prochaine ronde d’investissement en infrastructures qui seront nécessaires pour accroître leur résilience.

* Université Simon Fraser, Programme d’études urbaines

** Université Curtin, Institut des politiques de développement durable

Anthony Perl était de passage à Montréal cette semaine pour le Symposium annuel Trottier sur l’ingénierie, l’énergie et la conception durables.

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