Hockey

La seconde chance de Jacob Lagacé

Il y a deux ans, Jacob Lagacé faisait du surplace dans les mineures. Il était malheureux. Sa carrière n’allait nulle part. Puis il s’est exilé en Scandinavie, a retrouvé le goût du hockey et une place dans l’élite. Voici le parcours atypique d’un joueur qui admet avoir commis bien des erreurs, mais à qui le hockey offre une seconde chance.

Une fin de semaine de novembre dernier, le Québécois Jacob Lagacé se trouve en Suède, non loin du cercle polaire, quand son téléphone sonne. Il sait qui l’appelle. Son agent l’a prévenu.

« Salut ! », lance l’homme au bout du fil. Lagacé, qui adorait Patrick Roy et l’Avalanche quand il était jeune, reconnaît tout de suite la voix de l’un de ses héros d’enfance : Peter Forsberg.

Cette même fin de semaine, Forsberg est admis au Temple de la renommée du hockey. Le Suédois prend tout de même cinq minutes de son horaire chargé pour appeler Jacob Lagacé.

Le Québécois est alors en train de « brûler » la deuxième division suédoise. Plusieurs équipes de première division sont dans la course pour ses services. Forsberg l’appelle pour le compte de l’équipe qui l’a formé, en plus de lancer la carrière des frères Sedin, la prestigieuse MODO.

« Peter Forsberg m’a dit qu’il aimait mon jeu et que l’équipe voulait m’avoir. Quand j’ai raccroché, je n’en revenais pas. »

— Jacob Lagacé

Lagacé a finalement terminé cet hiver premier marqueur de la deuxième ligue de Suède. Et il a finalement dit non à MODO et à Forsberg.

Revenu à Montréal pour l’été, l’attaquant s’apprête à se joindre à Luleå, une formation de première division en pleine reconstruction qui peut compter sur les poches profondes d’un jeune multimillionnaire de l’internet.

Parfois, quand il s’arrête pour y penser, Lagacé se dit qu’il a de la chance. Il y a deux ans, sa carrière s’enlisait dans les ligues mineures en Amérique du Nord. Aujourd’hui, à 25 ans, il s’apprête à donner un second souffle à sa vie de hockeyeur.

« Là, j’ai une deuxième chance. J’ai manqué la première que j’ai eue à 20 ans. Maintenant, j’en ai une autre cinq ans plus tard. Je veux aller là-bas et tout faire pour rester. Cette fois, je veux saisir l’occasion. »

Jacob Lagacé raconte son histoire à La Presse dans l’espoir qu’elle inspire d’autres jeunes joueurs. « Ça montre que si on ose, on peut avoir une deuxième chance, même au hockey. »

UN TALENT NATUREL

Lagacé a grandi dans une famille monoparentale à Beloeil, sur la Rive-Sud de Montréal. Sa mère ne voulait rien savoir du hockey. Elle l’a inscrit au soccer. « Mais ses petits amis de soccer jouaient tous au hockey, alors il a essayé, raconte Nathalie Ouellette. On a découvert qu’il avait un talent naturel. Avec le recul, c’est peut-être ça qui lui a nui, tout ce talent-là. »

Jacob Lagacé avait le hockey facile. Il est le premier à admettre que le sport lui venait naturellement, qu’il n’a pas eu à travailler autant que d’autres. Il a joué son hockey junior majeur avec les Saguenéens de Chicoutimi. Au repêchage de 2008, les Sabres de Buffalo l’ont choisi au cinquième tour.

Déjà, à Chicoutimi, des observateurs chuchotaient que Lagacé aurait pu travailler davantage. Mais son talent lui a permis, à sa dernière année junior, de marquer 30 buts lors des 35 premiers matchs de la saison. Tout semblait lui sourire.

Les choses se sont gâtées dans la Ligue américaine de hockey. « Je ne viens pas d’une famille fortunée, et là, j’avais 20 ans et je venais de signer un gros contrat dans la Ligue nationale, se souvient Lagacé. Je pensais que j’avais réussi dans la vie. Mais je ne savais pas c’était quoi, être professionnel. En vérité, le plus gros du travail restait à faire après ma signature de contrat. »

« J’arrivais là-bas avec des hommes. Je n’étais pas prêt mentalement ni physiquement pour la Ligue américaine. Je me faisais mettre sur la quatrième ligne ou dans les gradins, raconte-t-il. J’ai frappé un mur. »

« Quand ça n’allait pas bien dans la Ligue américaine, c’était facile de me rabattre sur l’argent, d’acheter du linge, d’aller dans des bons restos, d’aller boire au bar. C’est un autre apprentissage, apprendre à gérer l’argent. Je n’en avais jamais eu. »

— Jacob Lagacé

Il pensait que la Ligue américaine était une ligue de développement où les espoirs étaient lentement amenés à maturité. Il a plutôt découvert une ligue coupe-gorge, où ceux qui ne font pas l’affaire sont mis de côté. « Personne ne m’a dit : “Écoute, si tu veux avoir du succès, voilà ce qu’il faut que tu fasses.” Parce que là-bas, c’est chacun pour soi. Tout le monde veut monter. »

À la fin de son contrat de trois ans avec les Sabres, Lagacé n’avait disputé aucun match dans la LNH et s’est retrouvé relégué à l’ECHL, un échelon plus bas que la Ligue américaine. L’année dernière, il évoluait dans le quatrième trio des Solar Bears d’Orlando. Tout indiquait que l’ancien marqueur des rangs juniors était condamné à vivoter dans l’anonymat des ligues mineures de l’Amérique du Nord.

Sauf que le Québécois en a eu assez. Il a bien vu que son rêve de la LNH disparaissait un peu plus chaque saison. À la suite de la recommandation d’un ami, il a pris contact, en pleine saison, avec le directeur général des Vikings de Tønsberg. Ce n’était pas le Pérou : la petite équipe norvégienne évolue dans un aréna de 710 places. Mais il a eu un poste. Et il a retrouvé le goût du hockey.

« À Orlando, l’entraîneur n’avait pas de place pour moi. En Norvège, j’avais du temps de glace et j’ai repris confiance. J’ai recommencé à être positif. »

L’automne dernier, il s’est trouvé une place avec Asplöven HC, dans la deuxième ligue de Suède. Il a déménagé dans le patelin d’Haparanda, tout près du cercle polaire, au 65e parallèle Nord. Cette équipe est peut-être la plus septentrionale du hockey professionnel. Là, dans une région plus au nord que Kuujjuaq, Lagacé a commencé à se refaire un nom. Il a commencé à croire qu’après tout, son aventure au hockey n’était peut-être pas terminée.

DIRECTION LULEÅ

Les agents ont tout de suite remarqué l’arrivée de Lagacé. Qui était cet ancien espoir des Sabres en train de remporter le championnat des marqueurs en deuxième division suédoise ? Il a finalement terminé la saison avec 57 points en 52 matchs, 9 points de plus que le deuxième marqueur.

Peu après l’appel de Peter Forsberg, Jacob Lagacé a finalement décidé de signer un contrat de deux ans avec Luleå (prononcer « Luleo »). L’équipe évolue en première division suédoise, la SHL. Elle a de grandes ambitions pour la prochaine saison. Elle compte même parmi ses investisseurs Jakob Porser, l’un des fondateurs de la société derrière le populaire jeu Minecraft, vendue récemment à Microsoft pour 2,5 milliards.

Cette fois-ci, il ne veut pas manquer sa chance. Lagacé affirme avoir grandi. Il dit avoir appris de ses erreurs. Il ne veut plus tourner les coins rond. Il envisage de partir tout le mois de mai en Suède pour s’entraîner avec l’équipe et prendre ses marques dans sa nouvelle ville d’adoption.

Avec le temps, il dit avoir compris les sacrifices que demande une carrière professionnelle. Il a aussi compris les sacrifices consentis par sa mère pour lui permettre de jouer au hockey. Dans ses négociations avec Luleå, il a demandé des billets d’avion pour qu’elle puisse venir le voir jouer dans le nord de la Suède.

« Jacob est quelqu’un qui réfléchit beaucoup, qui analyse beaucoup, note sa mère, Nathalie Ouellette. Je pense qu’il a fait des erreurs. Mais je pense aussi qu’il s’est réveillé à temps. »

Jacob Lagacé rêve toujours à la LNH. Mais il rêve aussi à la Suisse et, avant tout, à la Suède. Il sait maintenant que jouer dans la Ligue nationale est un honneur qui n’est pas donné à tous, même aux plus talentueux. Peut-être qu’il n’y jouera jamais. Mais au moins, personne ne pourra dire qu’il n’a pas essayé.

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