ÉDITORIAL ARIANE KROL

AIDE MÉDICALE À MOURIR S’assurer d’exécuter des volontés, pas des patients

Devrait-on permettre les demandes d’aide médicale à mourir anticipées, pour que les gens soient certains que leurs volontés seront respectées le moment venu ? Plusieurs le réclament, mais c’est plus délicat qu’il n’y paraît.

Vous pouvez rédiger un testament. Vous pouvez signer votre don d’organes. Vous pouvez même remplir un formulaire de directives médicales anticipées pour consentir ou non à certains soins en cas d’inaptitude.

Bref, il existe déjà plusieurs moyens de faire respecter vos volontés lorsque vous n’êtes plus en mesure de les exprimer.

Pourquoi, alors, ne pas reconnaître aussi les directives anticipées pour l’aide médicale à mourir (AMM) ?

Cette demande, on l’entend depuis de nombreuses années tant dans l’espace public que dans les conversations privées. Mais la loi fédérale est allée dans le sens contraire en exigeant que le consentement éclairé soit réitéré juste avant la procédure.

Cette loi, on l’a dit, est trop restrictive. Des malades dont l’état de santé correspond aux critères utilisés par la Cour suprême pour reconnaître le droit à l’aide médicale à mourir sont refusés parce qu’ils ne répondent pas au critère additionnel de mort « raisonnablement prévisible » ajouté par le gouvernement Trudeau. Nous l’avons vivement dénoncé, mais ce n’est pas de ça qu’il s’agit ici.

Le rapport d’experts que le gouvernement Trudeau a commandé sur les demandes anticipées montre bien la difficulté d’un tel mécanisme.

Ce n’est pas un hasard si seulement quatre pays (Belgique, Luxembourg, Colombie, Pays-Bas) les autorisent. Et encore, dans des circonstances très limitées pour trois d’entre eux.

Il faut bien réaliser qu’une demande anticipée, si rassurante soit-elle pour celui qui la formule, fait porter tout un fardeau aux proches et aux médecins.

La décision de vie ou de mort, ce sont eux qui devront la prendre lorsque la personne ne sera plus apte à le faire.

Ce sera à eux de juger si le patient est rendu au stade qu’il redoutait, à partir duquel il voulait qu’on mette fin à ses jours. Mais que faire quand le patient ne semble plus vouloir ce qu’il avait demandé des années auparavant ? « L’incertitude […] augmente si la personne qui a perdu sa capacité semble indifférente à l’AMM, exprime le désir de continuer à vivre ou résiste physiquement ou verbalement à la procédure », souligne le rapport publié le mois dernier par le Conseil des académies canadiennes.

Il ne suffit pas d’élaborer des critères clairs. Il faut s’assurer que l’expression « exécuter les volontés » ne prenne pas une tournure sinistre !

À voir comment le gouvernement Trudeau défend sa loi déjà trop restrictive, il n’est pas près d’ouvrir la porte aux demandes anticipées. Mais la réflexion doit se poursuivre. C’est d’ailleurs ce qu’a promis de faire le gouvernement Legault, qui attend le rapport du groupe d’experts sur les demandes médicales anticipées d’ici le printemps. Nous avons hâte de le voir, car ce document, contrairement à celui du fédéral, formulera des recommandations.

Le rapport fédéral ouvre néanmoins une piste intéressante : les demandes anticipées à court terme, c’est-à-dire rédigées peu avant que la personne ait besoin de l’aide médicale à mourir.

On a vu l’histoire d’Audrey Parker, cette Néo-Écossaise de 57 ans qui a demandé l’aide à mourir le 1er novembre dernier, de peur de perdre sa capacité à y consentir, alors qu’elle aurait voulu se rendre jusqu’aux Fêtes, sa période préférée de l’année. Son cas est loin d’être unique. Plusieurs personnes gravement malades se résignent à faire la même chose et sont ainsi privées de moments précieux avec leurs proches.

C’est à ce type de demandes anticipées qu’il faut s’intéresser en priorité. D’autant, comme fait valoir le rapport fédéral, qu’elles créeraient nettement moins d’incertitude que celles exprimées des mois ou des années d’avance.

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