La Presse à Washington

Trump face à une grogne monstre

Donald Trump n’avait pas passé une journée entière à la Maison-Blanche que près de 500 000 protestataires — plus d’un million selon les organisateurs — ont voulu faire entendre leur opposition au nouveau président. Pour manifester, elles et ils avaient choisi de converger vers le National Mall, symbole par excellence de la démocratie américaine. Notre journaliste, qui visite cette semaine les lieux emblématiques de Washington, est allée à leur rencontre.

WASHINGTON — Megan et Ben Han n’ont pas eu le temps de défaire leurs bagages. Rentrés de leur lune de miel le jour de l’investiture de Donald Trump, les nouveaux mariés ont passé la soirée de leur retour à confectionner deux couvre-chefs roses avec des oreilles de chat. Hier, ils les ont portés fièrement lors de la Marche des femmes sur Washington.

« Il n’était pas question de manquer ça. On est là en soutien à tout le monde. On a peur de ce gouvernement qui veut limiter la liberté d’expression », a dit Megan Han, 25 ans, en faisant référence à la disparition de plusieurs pétitions du site de la Maison-Blanche après la passation des pouvoirs hier.

« Moi, je suis venue parce que c’est évident que les femmes et les minorités sont une partie essentielle de notre société et qu’on ne peut tolérer un discours de haine à leur égard », ajoute son mari. À leur cou, le jeune couple portait deux pancartes sur lesquelles on pouvait lire « Plus forts ensemble », un des slogans d’Hillary Clinton.

Leur amie, Healey Sutton, s’est jointe à la marche pour une tout autre raison. « Nous sommes juifs et le discours qu’on entend aujourd’hui – où il est question de fermer les portes aux étrangers – me fait peur. Ça me rappelle ce qu’on a entendu avant [l’Holocauste]. Le discours de Donald Trump normalise les discours antisémites et islamophobes. C’est très dangereux », a dit la jeune femme qui portait un macaron proréfugiés.

500 000 voix

Tout comme ces trois amis de Washington, ils ont été des centaines de milliers – 500 000, selon plusieurs estimations médiatiques – à se présenter sur l’avenue Independence et au National Mall pour manifester hier.

À en juger par les pancartes et les affiches que les protestataires avaient fabriquées, il y avait presque autant de causes mises de l’avant que de participants à cette immense marche. Libre droit à l’avortement, sort des réfugiés et des immigrés, disparition de l’Obamacare et violence policière contre les Noirs étaient tous au programme des protestataires qui avaient convergé des quatre coins des États-Unis.

Sous cette diversité, un fil conducteur : la peur des torts que pourrait causer la nouvelle administration Trump à la société américaine en général et aux droits des femmes en particulier. « L’élection de Donald Trump, un misogyne, m’a anéantie et je devais faire quelque chose. Le message que je veux lui envoyer, c’est que je choisirai toujours l’amour avant la haine », a dit à La Presse Jennifer Larson, urgentologue de Portland, en Oregon, qui avait fait le voyage de la côte Ouest pour manifester avec un petit groupe d’amies.

Des dizaines de milliers de manifestants et de manifestantes avaient enfilé un bonnet rose à oreilles de chat pour la marche. Les petites tuques, tricotées pour la plupart à la main par des bénévoles, se voulaient une allusion directe à la vidéo d’Access Hollywood dans laquelle Donald Trump avait dit qu’il pouvait « attraper les femmes par la chatte » parce qu’il était célèbre. « C’est au tour des chattes de mordre », pouvait-on lire hier sur de nombreuses pancartes de manifestantes.

Selon La Presse canadienne, plus de 600 Canadiennes étaient aussi présentes sur les lieux, dont plusieurs Montréalaises. « Ça fait chaud au cœur de voir tout ce monde dans un contexte où on a toutes les raisons d’affirmer que nous vivons une période où les droits et les perspectives d’avenir dont jouissent les femmes sont fragilisés. Aux États-Unis, comme sur le reste du continent. On n’est pas à l’abri de ça au Québec ! », a dit à La Presse Aurélie Lanctôt, auteure de l’essai Les libéraux n’aiment pas les femmes. L’étudiante en droit à l’Université McGill a fait la route jusqu’à Washington avec quatre amies partageant les mêmes « sensibilités féministes ».

Au-delà des attentes

Née d’un appel à l’action sur Facebook lancé par une grand-mère en colère au lendemain de l’élection surprise de Donald Trump à la Maison-Blanche, la Marche des femmes à Washington a de loin excédé les attentes des organisatrices. Ces dernières estimaient que 200 000 personnes allaient se présenter dans la capitale pour l’événement.

Dès 10 h hier matin, l’avenue Independence, sur laquelle était installée la scène principale de la marche, était bondée. Toute une série de vedettes et de têtes d’affiche du mouvement féministe américain s’y sont présentées, dont les chanteuses Madonna, Cher et Alicia Keys, l’écrivaine Gloria Steinem et les actrices America Ferrera et Scarlett Johansson.

La présence de stars à l’événement a été d’autant plus remarquée après leur absence quasi complète de l’investiture de Donald Trump.

Vers 13 h 15, les manifestantes devaient se mettre en marche pour se rendre à la Maison-Blanche, mais devant les foules trop compactes, les organisatrices ont dû se résoudre à annuler le déplacement.

Ailleurs aux États-Unis, des centaines de milliers de manifestants ont notamment envahi les rues de Chicago, Dallas, San Francisco, Saint Louis, Denver et Boston.

Plus gros que l’investiture

Selon toute vraisemblance, près de deux fois plus de personnes ont participé à la marche d’hier qu’à l’investiture de Donald Trump la veille. Selon les autorités de Washington, plus de 275 000 personnes avaient pris le métro avant midi, soit 50 % de plus que vendredi.

De plus, la Ville a reçu cinq fois plus de demandes de permis de stationnement d’autocars pour la marche que pour la prestation de serment du nouveau président.

Le grand achalandage a d’ailleurs donné des maux de tête aux participants hier. Plusieurs stations de métro ont été fermées pendant de longues heures. Il était presque impossible de marcher dans certaines rues du centre-ville où les gens étaient au coude à coude. Des barrières de sécurité, installées pour l’événement de la veille, gênaient aussi les déplacements, créant de grands goulots d’étranglement par endroits.

« Ce n’était pas toujours la situation la plus sécuritaire. Les organisateurs avaient annoncé des restrictions sur les sacs, mais on n’a jamais vu d’agents de sécurité les vérifiant », notait Brandon Skall, après avoir réussi à s’éloigner de la manifestation. La présence policière, très visible vendredi, était très discrète hier. « Néanmoins, tout s’est déroulé dans le calme et la bonne humeur », ajoute le jeune homme. La veille, plus de 200 manifestants avaient été arrêtés près du parcours du défilé présidentiel.

Trump fait la sourde oreille

Qu’a pensé le nouveau président de cette grande manifestation de défiance ? Lors d’un discours qu’il a prononcé devant les agents de la Central Intelligence Agency (CIA), hier après-midi, le nouveau président n’a pas fait mention une seule fois de la marche. Il a plutôt profité de l’occasion pour se plaindre des médias, qui, selon lui, ont sous-estimé le nombre de personnes ayant assisté à son investiture.

Donald Trump président

Le National Mall, lieu de manifestations historiques

Depuis le début du XIXe siècle, le National Mall, immense parc qui s’étend du Capitole jusqu’au monument à Abraham Lincoln, accueille tant les festivités d’investiture des nouveaux présidents que les plus grandes manifestations à Washington. Survol des moments de protestation les plus mémorables.

28 août 1963 

Plus de 200 000 personnes ont marché dans le National Mall à l’invitation de Martin Luther King Jr. C’est lors de cette marche que le leader des droits civiques a prononcé le fameux discours « I have a dream ».

15 novembre 1969 

De 500 000 à 600 000 personnes ont manifesté contre la guerre du Viêtnam. Cette manifestation est à ce jour le plus grand rassemblement pacifiste de l’histoire des États-Unis.

25 avril 1993 

Des centaines de milliers de personnes ont marché pour les droits des gais, des lesbiennes et des bisexuels.

16 octobre 1995 

De 400 000 à 850 000 personnes ont participé à la Marche d’un million d’hommes (Million Man March) pour dénoncer l’injustice à l’endroit des hommes noirs américains.

25 avril 2004 

De 500 000 à 1,5 million de personnes ont pris part à la grande marche pour préserver l’accès à l’avortement pendant la présidence de George W. Bush.

21 janvier 2017 

Près de 500 000 personnes ont participé à la Marche des femmes sur Washington au lendemain de l’investiture de Donald Trump. La marche a été organisée sur l’avenue Independence, puisque les organisatrices n’ont pas réussi à avoir un permis pour manifester au National Mall, mais a rapidement débordé dans l’immense enceinte.

— Laura-Julie Perreault, La Presse

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.