MINDGEEK

Un modèle d’affaires « agressif »l

MindGeek a atteint au fil des ans – et des acquisitions – une position dominante dans l’univers mondial du XXX. L’entreprise est aujourd’hui aussi crainte qu’admirée dans une industrie où le contrôle du trafic internet représente le nerf de la guerre.

Les débuts officiels du groupe remontent à 2007, lorsque deux jeunes entrepreneurs, Stephane Manos et Ouissam Youssef, fondent Mansef, à Montréal. À l’époque, cette société exploite notamment le site pornographique Brazzers. Après quelques changements de propriétaire et divers ennuis juridiques, la société est renommée Manwin, puis MindGeek en 2013 (voir onglet suivant pour les détails).

« C’est sans doute la plus grande société de divertissement pour adultes dans le monde. »

— Alec Helmy, président et éditeur de XBIZ, l’un des principaux magazines spécialisés dans l’industrie XXX

COMME YOUTUBE

L’une des clés du succès de MindGeek repose sur son modèle d’affaires, basé sur la gratuité. Le groupe a contribué à l’avènement des « tubes » XXX, soit des portails qui agrègent des contenus d’une multitude de sources, à l’image de YouTube. Les revenus ne proviennent pas du visionnement des vidéos, mais plutôt de la publicité ou de la redirection des internautes vers d’autres sites qui, eux, sont payants. Et qui appartiennent aussi à MindGeek.

Ces « tubes », comme YouPorn et PornHub, ont bousculé le modèle d’affaires de l’industrie du porno en quelques années à peine. Les studios établis, qui avaient pendant longtemps pu vendre leur contenu à fort prix sur DVD ou sur des sites payants, ont dû s’adapter à vitesse grand V. Des dizaines ont fait faillite ; d’autres ont été rachetés, notamment par MindGeek.

« C’est un modèle d’affaires très agressif, parce que dans les faits, vous profitez de la distribution de contenus gratuits. »

— Alec Helmy

« Cela soulève plusieurs enjeux, car on peut argumenter que la valeur des contenus s’en trouve réduite », ajoute M. Helmy

MindGeek a fait l’objet de plusieurs poursuites au fil des ans pour violation de propriété intellectuelle. L’an dernier, le groupe floridien Hush Hush Entertainment l’a accusé d’avoir diffusé illégalement plusieurs de ses vidéos sur son portail PornHub, allant même jusqu’à récolter des revenus d’abonnement pour ces mêmes vidéos sur son site payant PornHub Premium. (La dispute a été réglée à l’amiable en juillet dernier, selon XBIZ.)

« INDUSTRIE DÉTRUITE »

Mike South, producteur de films pornos d’Atlanta et auteur d’un blogue populaire sur l’industrie XXX, documente depuis des années les activités de MindGeek. Son constat est tranchant. « MindGeek a détruit une industrie que j’aimais », lance-t-il au bout du fil.

MindGeek contrôle aujourd’hui une constellation de studios de production, de postproduction ainsi que de vastes canaux de distribution sur l’internet. Une position « dominante » que dénonce Mike South, déjà cité comme expert par CNBC et Fox News. Plusieurs des sites XXX les plus populaires au monde appartiennent à MindGeek, ce qui rend difficiles les critiques ouvertes à l’endroit de ce conglomérat dans l’industrie, ont confirmé plusieurs sources à La Presse.

Cette influence énorme de MindGeek aurait aussi contribué à une détérioration des conditions de travail des actrices pornos, selon divers observateurs. « En fin de compte, ce sont les filles qui sont dans cette industrie qui souffrent le plus de la situation de quasi-monopole, avance une source interne de MindGeek. Les salaires ont beaucoup baissé. Pour les filles, c’est passé de 400 à 200 $ par scène. »

Un ancien haut placé de l’entreprise en rajoute. « J’admire leur succès, mais pas la façon dont ils se sont rendus là. Ils sont détestés dans l’industrie et ils sont rendus tellement gros qu’ils n’ont peur de personne. »

« COMME APPLE »

Même s’il convient que MindGeek est devenu « très influent » dans l’industrie mondiale du XXX, Alec Helmy, de XBIZ, ne croit toutefois pas qu’on puisse qualifier l’entreprise de « monopole ».

« Je ne crois pas qu’ils se comportent d’une façon différente de celle d’Apple, avance-t-il. Les grosses compagnies deviennent de plus en plus agressives dans la façon dont elles approchent les enjeux légaux, donc je ne vois pas de différence avec la façon dont Apple ou Microsoft font des affaires. »

MindGeek, dont le siège social officiel est au Luxembourg, compte la majeure partie de sa main-d’œuvre à Montréal. Le groupe a des filiales dans une dizaine de territoires, incluant Chypre, l’Irlande et Curaçao, tous reconnus comme étant avantageux sur le plan fiscal. Les actifs de sa filiale Licensing IP International S.A.R.L, qui englobent plusieurs activités de MindGeek, s’élevaient à 1,06 milliard de dollars canadiens en 2014, selon le Registre de commerce et des sociétés du Luxembourg.

MindGeek a refusé les nombreuses demandes d’entrevue de La Presse.

Spécialiste du « big data »

Le site web de MindGeek ne contient aucune allusion à ses activités coquines. L’entreprise s’y décrit plutôt comme « un chef de file mondial de l’industrie des technologies de l’information ».

Une bonne partie des employés du groupe est constituée de programmeurs informatiques, d’analystes web et d’autres experts du « big data », ou mégadonnées. Des millions de dollars sont investis chaque année en recherche et développement, avec des résultats probants.

« Tout est dans le trafic. Si tu tapes deux ou trois mots de porno dans Google, tu vas aboutir sur un des sites de MindGeek. C’est la clé de leur succès », résume une source qui a travaillé de près avec l’entreprise.

« HAUTEMENT SOPHISTIQUÉ »

MindGeek possède une filiale appelée TrafficJunky, qui se spécialise dans la publicité web ciblée. Sur son site, TrafficJunky précise rejoindre plus de 141 millions d’internautes chaque jour.

« C’est devenu hautement sophistiqué, dit Alex Helmy, président de XBIZ. Pour utiliser un mot populaire, ça s’est transformé en modèle d’entreprise basé sur le big data, où vous êtes assis sur une montagne de données sur les utilisateurs et où vous extrapolez cette information pour servir les contenus les plus pertinents pour ces utilisateurs. C’est l’avenir du divertissement pour adultes. »

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