Chronique

Le doigt sur le bobo

On sait depuis longtemps que la rémunération des médecins est un sacré capharnaüm. Mais, hier, la vérificatrice générale du Québec a vraiment mis le doigt sur le bobo.

Son diagnostic est grave : Québec a complètement perdu le contrôle de la rémunération des médecins. La vérificatrice Guylaine Leclerc constate que leur rémunération coûte 417 millions de plus que ce qui était prévu dans les ententes négociées avec les médecins pour 2010 à 2015. Les médecins spécialistes sont responsables de 90 % de ces dépassements, essentiellement parce qu’on avait sous-estimé l’évolution de leur pratique médicale lors des négociations.

Déjà, les quelque 21 000 médecins du Québec avaient obtenu un rattrapage salarial. Entre 2010 et 2015, la croissance de la rémunération des médecins prévue dans les ententes s’élevait entre 7 et 10 %, alors que Québec avait choisi de limiter la croissance des dépenses en santé autour de 3 %.

Aujourd’hui, les émoluments des médecins accaparent près de 30 % de la rémunération globale des 300 000 personnes qui travaillent dans le réseau de la santé.

En ces temps d’austérité (oh ! pardon, j’aurais dû dire de rigueur budgétaire), les dépassements de salaire des médecins résonnent donc plutôt mal dans l’opinion publique.

Alors que Québec veut imposer aux services de garde de nouvelles compressions (ah ! excusez-moi encore, j’aurais dû parler d’optimisation), cela donne l’impression que notre gouvernement géré par des médecins spécialistes n’a pas les mêmes priorités pour tout le monde.

Le plus fâchant pour le grand public, c’est que l’argent additionnel déboursé par Québec ne semble pas réellement favoriser un meilleur accès aux services.

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En effet, la vérificatrice générale observe que les mesures incitatives mises en place pour améliorer l’accès aux soins de première ligne ne donnent pas les résultats espérés.

Depuis 2012, par exemple, Québec verse un supplément en fonction du nombre de patients suivis par un médecin. En moyenne, cela permet aux médecins d’obtenir 10 000 $.

En aparté, je vous mentionne qu’une dizaine de médecins ont obtenu un montant forfaitaire de plus de 90 000 $. L’un d’eux avait inscrit 6000 patients. Même en prenant seulement deux semaines de vacances par année, ça fait 24 patients par jour. Efficace, le médecin !

Toujours est-il que cette mesure s’accompagnait d’une cible de prise en charge pour s’assurer que les patients soient réellement en mesure de consulter leur médecin quand ils en ont besoin.

Sauf que le taux de prise en charge est resté à 61 % pendant plusieurs années, ce qui ne correspondait pas à une réelle amélioration puisque la plupart des médecins atteignaient déjà ce niveau. Ce n’est que cette année que la cible a été relevée, mais pas autant que prévu.

Un autre exemple. Pour encourager les omnipraticiens à travailler davantage, Québec s’est entendu avec leur fédération pour verser des extras aux médecins qui travaillent plus de 180 jours par année et plus de 200 jours par année.

Or, la formule tient compte des activités de formation et d’administration, ce qui permet d’obtenir l’extra, sans nécessairement voir plus de patients. Finalement, la mesure n’a pas atteint son objectif. Au contraire, les médecins qui ont touché l’extra en 2012 ont réduit leur nombre de journées l’année suivante.

Pour vous montrer à quel point la formule utilisée est imparfaite, je vous souligne que 60 médecins ont déclaré plus de 365 jours de pratique dans une année, dont une demi-douzaine qui ont comptabilisé plus de 400 jours de travail !

Malheureusement, Québec n’ajuste pas le tir lorsqu’il constate que les mesures offertes ratent leur cible. Sur 33 mesures incitatives examinées par la vérificatrice, 30 ne comportaient aucune mesure pour évaluer leur efficacité.

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Le rapport de la vérificatrice générale confirme aussi à quel point la rémunération à l’acte des médecins est une tour de Babel.

Lors de l’instauration de ce système de rémunération en 1970, on comptait environ 500 actes. Aujourd’hui, il y en a plus de 11 000, tous associés à un tarif différent. Le système est devenu si complexe que le tiers des médecins font appel à une agence privée pour gérer leur facturation. On dénombre 160 de ces agences. Une industrie en soi.

En plus d’être éminemment complexe, la rémunération comporte aussi plusieurs zones grises. Par exemple, le médecin peut demander un extra pour le soutien psychologique offert à son patient lors d’une visite. Idem s’il pose un acte dans une situation complexe ou urgente. Voilà qui est assez subjectif.

Tout cela augmente les risques que la facture du médecin soit gonflée. Or, la RAMQ ne tient pas suffisamment compte des risques d’erreur ou de fraude relatifs à la rémunération des médecins, déplore la vérificatrice.

Certains médecins ont plus de 4000 patients, alors que la moyenne n’est que de 1200. D’autres voient leur rémunération doubler dans une seule année. D’autres encore rencontrent 90 patients par jour.

Ces cas méritent d’être examinés de plus près. Mais la RAMQ ne fait aucune démarche particulière même si leur profil de facturation est plus à risque.

La vérificatrice prêche pour un meilleur contrôle. Mais c’est peut-être le système de rémunération à l’acte qui devrait être revu au grand complet.

Les médecins considèrent que la rémunération à l’acte est un gage de productivité. Mais d’autres soutiennent que ce mode de rémunération ne favorise pas le travail d’équipe avec les infirmières et les autres professionnels de la santé.

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