Chronique Lysiane Gagnon

Autoroutes pour vélos

Donner Montréal aux cyclistes un ou deux week-ends par année – comme ces jours-ci, pour les festivités du Tour de l’île –, ça va. Mais leur donner une grande partie de l’espace urbain pour leur bâtir des autoroutes à vélo, comme s’apprête à le faire l’administration Plante, c’est une autre paire de manches.

À partir du mythe voulant que Montréal, une ville où il neige six mois par année, soit prédestinée à devenir le paradis du cyclisme, on est en train de produire exactement ce que l’on voulait éviter : le déclin de Montréal au profit de la banlieue, et l’accroissement des gaz à effet de serre !

Avec le manque de logements adéquats, la difficulté de circuler et de se garer en auto à Montréal est le principal facteur qui pousse les jeunes familles vers la banlieue. Les commerces, les entreprises et les services les suivent, des restaurants aux universités. Aujourd’hui, on peut habiter Longueuil ou Rosemère sans jamais mettre le pied à Montréal, sauf si par malheur votre emploi vous y oblige.

Cette guerre à l’automobile que mène Projet Montréal est l’exemple parfait d’une politique contre-productive.

On dit vouloir diminuer les gaz à effet de serre… mais en encourageant l’étalement urbain, on fera augmenter les GES !

On dit vouloir plus de commerces de proximité, plus de lieux culturels, bref tout ce qui fait le charme et l’intérêt de la vie urbaine… mais on les tuera à petit feu en multipliant les obstacles pour la clientèle et les camions d’approvisionnement !

Montréal deviendra une ville de « bobos » plus ou moins célibataires, de ménages riches capables de se payer de chics condos et des maisons patrimoniales, d’immigrés de fraîche date et d’une ancienne population de pauvres incapable de déménager.

Paradoxalement, la mairesse manifeste plus d’indulgence envers les grands promoteurs immobiliers qu’envers les travailleurs qui vont au boulot en automobile. Elle ferme les yeux sur le projet Royalmount, qui empoisonnera la circulation dans le nord de la ville, provoquera l’augmentation des GES et fera concurrence à la rue Sainte-Catherine qu’on est en train de rénover à grands frais. Au lieu de demander au promoteur quelques réaménagements mineurs, elle aurait dû requérir l’intervention de Québec pour stopper cet absurde projet de DIX30 en plein cœur de Montréal.

Toute la ville sera affectée par le nouveau plan vélo de la Ville.

Élimination de voies de circulation et de places de stationnement, construction de pistes cyclables élargies et unidirectionnelles, lourds mécanismes de sécurité aux intersections… et cela dans des artères comme Saint-Denis, Peel, De Maisonneuve, Viger, Berri, Saint-Antoine, Saint-Jacques, Bellechasse, Lajeunesse, etc.

Voilà donc la dernière trouvaille pour empoisonner à jamais la circulation automobile à Montréal : un Réseau express vélo (REV) de 17 axes et 184 km de pistes cyclables additionnelles… il s’y greffera même une synchronisation des feux destinée à permettre aux cyclistes d’aller encore plus vite ! On voit ce que cela annonce pour les piétons, qui sont déjà beaucoup plus menacés par les cyclistes que par les autos parce que les premiers sont moins perceptibles : on ne les voit pas venir et on ne les entend pas, sans compter qu’ils sont nombreux à se ficher des règlements de la circulation.

La rue Saint-Denis périclite, le REV va l’achever. Faute de pouvoir accueillir les visiteurs et les clients, elle perdra définitivement sa vocation commerciale, de même que la fonction de voie de transit nord-sud qu’elle était quasiment seule à assurer (avec la rue Saint-Urbain), depuis que le Plateau et Rosemont–La Petite-Patrie sont devenus des ghettos protégés par un système machiavélique de sens uniques.

Le pire, c’est que le lobby du vélo n’est pas encore content.

La métamorphose de Montréal n’ira pas assez loin ni assez vite. Ses porte-parole voudraient que le vélo occupe en plus la moitié de la rue Sherbrooke, la plus longue artère est-ouest de la ville… À quoi la mairesse a répondu : « La rue Sherbrooke n’est pas incluse, mais il n’est pas dit qu’elle ne le sera pas. » Ça promet.

Il serait temps de regarder les chiffres, et de se demander pourquoi il faut toujours sacrifier les intérêts d’une immense majorité à ceux d’une infime minorité. (A-t-on déjà oublié que cet hiver, les pistes cyclables étaient déneigées avant les rues ? Elles étaient vides, évidemment, les rarissimes cyclistes hivernaux prenant le métro les jours de tempête… mais qu’est-ce qu’on ne ferait pas pour un symbole !)

Selon la Communauté urbaine de Montréal, 1,8 % des déplacements se font à vélo dans le Grand Montréal. À Montréal, c’est 2,5 %. Même dans le Plateau Mont-Royal, la proportion ne dépasse pas 8,8 %… un record absolu, car dans Rosemont, c’est 5,4 % et à Outremont, 3,9 %. Et l’on parle ici de tous les déplacements, y compris les balades estivales ou les trajets de cinq minutes pour aller au dépanneur.

Détail significatif : les deux tiers des cyclistes montréalais sont des hommes, dont 85 % ont entre 15 et 59 ans. Chez les femmes, la majorité des cyclistes ont entre 25 et 34 ans. Cela laisse pas mal de monde en dehors du groupe des amateurs de vélo.

Le bulletin de la CUM préfère insister sur l’augmentation de la popularité du vélo depuis 2003, de même que sur la « performance » de Montréal par rapport à d’autres villes. Ces considérations jovialistes ressemblent à celles du Parti vert, qui se vante ces jours-ci d’avoir « doublé » sa représentation au Parlement grâce à l’élection d’un nouveau député. Le parti n’avait qu’un siège, il en a maintenant deux ! Ce n’est pas comme passer de 30 à 60 sièges !

Il va de soi que plus on facilitera la vie des cyclistes, moins la pratique du vélo sera dangereuse. L’insécurité serait, après la distance et la température, la troisième raison qui empêche les gens de s’adonner au cyclisme. Mais même en multipliant les mesures de sécurité, l’objectif de la ville reste fort modeste : on rêve d’accroître à 15 % la proportion de déplacements sur deux roues. Au mieux, ce plan ne servira toujours qu’à une très petite minorité.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.