Chronique

« Péter une coche » de trop

Puis-je me permettre de demander aux lecteurs de respirer par le nez. De cesser de voir des magouilles partout.

En apprenant que Metro avait accordé ses flûtes pour éviter le paiement possible de 135 millions de dollars d’impôts, certains ont littéralement « pété une coche », comme on le dit en langue bangala.

« Ça prend-tu une gang de sales pourris de la pire espèce », m’écrit J. Côté.

« Ces bien nantis connaissent l’autoroute d’évitement confortable des impôts sur le gain en capital et le tout, en collaboration avec les autorités concernés », soutient de son côté M. Crevier.

Calmons-nous le pompon. Metro n’a rien fait de répréhensible. Au contraire, il appert que la chaîne s’est conformée à l’esprit et à la lettre des règles fiscales, que même la Cour suprême reconnaît.

Et je ne vous écris pas parce que Metro m’a demandé de clarifier quoi que ce soit. Au contraire, l’épicier reste motus et bouche cousue.

Revenons en arrière. Mercredi, j’écrivais que Metro avait fait une transaction évaluée à 2,0 milliards avant le budget fédéral en réaction à une rumeur de hausse possible de l’impôt sur le gain en capital. La transaction portait sur le bloc d’actions de la société Alimentation Couche-Tard qu’elle détient depuis 30 ans.

Si l’impôt avait effectivement bondi de 50 %, Metro aurait économisé 135 millions, selon mes estimations. Si l’impôt ne grimpe pas – comme c’est finalement le cas –, il n’y a aucune incidence.

Dégueulasse ? Pas du tout. Encore récemment, la Cour suprême a rappelé que « les contribuables sont en droit d’organiser leurs affaires pour minimiser leurs impôts ».

Évidemment, il faut punir sévèrement les contribuables qui fraudent le fisc, font de l’évasion fiscale ou trouvent des façons tordues d’éviter de payer leur dû. Et je le reconnais, ils sont encore trop nombreux. J’en fais d’ailleurs assez souvent état dans cette chronique.

Mais en quoi réaliser une transaction sur la base d’un possible changement de loi est-il frauduleux ? En quoi est-ce même moralement discutable ? En rien du tout.

Quand des citoyens se précipitent pour acheter des cartouches de cigarettes ou des caisses de bière sur la rumeur d’une hausse de taxes, les traite-t-on de « pourris de la pire espèce » ? Quand des automobilistes font la file pour faire le plein d’essence dans le même contexte, les regarde-t-on de travers ?

La loi a 100 ans…et 6000 pages

Cette année, la Loi de l’impôt sur le revenu au Canada a 100 ans. Au fil des années, la loi est devenue extrêmement complexe, notamment parce que le législateur cherche à s’assurer qu’elle est équitable. Cette complexité ouvre toutefois la porte à certaines échappatoires, que ne décèlent pas toujours les autorités.

Au fédéral, la Loi de l’impôt fait aujourd’hui 2600 pages, auxquelles s’ajoutent 514 pages de règlements. À ces quelque 3000 pages, il faut en ajouter autant au Québec.

Et ce n’est pas tout. Il y a les lois sur les taxes d’accise et taxes de vente, de même que les conventions fiscales conclues par le Canada avec 92 territoires dans le monde.

Tenez, récemment, j’ai reçu le livre Introduction à la fiscalité internationale au Canada, écrit par 18 auteurs sous la direction de Jean-Pierre Vidal, de HEC Montréal. Nombre de pages : 1798. Et encore, vous aurez noté que le livre s’intitule Introduction à la fiscalité… .

Bref, il existe une montagne de codes, de règles et de principes pour gérer le paiement de l’impôt. Nul doute que la loi est perfectible, mais il ne suffit pas de dire qu’il faut « fermer les paradis fiscaux » pour que tout soit réglé.

À en perdre son latin

Au budget fédéral, une des mesures visant la fiscalité internationale illustre bien la complexité de la fiscalité moderne. Voici un passage qui vous permettra d’en juger.

« Les succursales à l’étranger des assureurs sur la vie canadiens sont assujetties à l’impôt de façon semblable aux sociétés étrangères affiliées des sociétés résidant au Canada, dont le revenu tiré d’entreprises étrangères n’est généralement pas imposable au Canada et, dans la plupart des cas, est exonéré de l’impôt au Canada au moment du rapatriement. »

Évident, n’est-ce pas ? Mais encore ?

« Les régimes fiscaux auxquels sont assujettis, respectivement, les assureurs sur la vie et les sociétés étrangères affiliées, diffèrent quant au traitement du revenu tiré de l’assurance des risques canadiens [par exemple, les risques à l’égard de personnes résidant au Canada]. »

Ça va toujours ?

« Les règles concernant le revenu étranger accumulé, tiré de biens (REATB) comprennent une règle anti-évitement particulière selon laquelle le revenu tiré de l’assurance des risques canadiens de la société étrangère affiliée contrôlée d’un contribuable canadien est généralement considéré comme du REATB et par conséquent assujetti à l’impôt au niveau du contribuable canadien selon la méthode de comptabilité d’exercice. »

Oh boy…

Et le budget de 2017 ajoute une couche de règles à cela pour empêcher l’évitement fiscal…

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