Duel économique 

Du gouvernement des médecins à celui des comptables

Quel conseil auriez-vous à donner au trio économique du gouvernement Legault ?

Dans son discours suivant l’assermentation de son Conseil des ministres, le nouveau premier ministre François Legault a enjoint son cabinet à « se mettre au service de l’économie ». La centralité des questions économiques est indéniable pour l’ancien PDG d’Air Transat qui, dès son arrivée en politique avec le Parti québécois, avait comparé son travail de ministre à celui d’un chef d’entreprise. C’est donc sans surprise que 20 ans plus tard, plus de la moitié de son cabinet est composé d’hommes et de femmes d’affaires, d’entrepreneurs et de gestionnaires issus du secteur privé.

En comptant M. Legault, on se retrouve avec quatre comptables à la tête des principales fonctions économiques : Christian Dubé, qui devient président du Conseil du trésor. Il a travaillé dans le privé avant d’être à la Caisse de dépôt et placement du Québec. Pierre Fitzgibbon, nouveau ministre de l’Économie et de l’Innovation. Partenaire de la firme WSP, il est aussi passé par la Banque Nationale. Enfin Éric Girard, ministre des Finances. Il a été trésorier à la Banque Nationale.

François Legault a voulu se faire rassurant en confiant les rênes de l’État à des comptables, dont la capacité à gérer les comptes d’une entreprise et à s’assurer de leur santé financière serait utile pour la gestion des finances publiques. 

Pourtant, l’État n’est justement pas une entreprise. Son administration demande une réflexion à plus long terme et les besoins d’une population sont beaucoup plus variés et complexes que ceux des actionnaires d’une entreprise dont le seul souci est d’extraire de la valeur. 

Si l’austérité libérale nous a appris une chose, c’est bien que de s’en tenir strictement aux indicateurs économiques pour gérer les dépenses publiques dessert à la fois la population, l’économie et la popularité du parti au pouvoir. Les exemples qui montrent les limites d’une telle approche sont nombreux.

Une diminution du nombre de fonctionnaires ne permettrait pas de dégager de la valeur comme le ferait la diminution de la masse salariale d’une multinationale. En revanche, une telle décision pourrait affecter la qualité des services offerts à des citoyens qui n’auront pas de solution de rechange vers laquelle se tourner. Dans ce domaine comme dans d’autres, le quatuor comptable de la CAQ devra être en mesure de sortir de ses vieux réflexes et d’adopter une vision plus large de l’action gouvernementale que celle de la simple quête de profitabilité.

Les dépenses nécessaires pour enclencher la transition écologique ne seront peut-être pas récupérées à court terme ; elles n’en demeurent pas moins incontournables pour assurer notre qualité de vie dans l’avenir. M. Legault semble découvrir l’importance des enjeux relatifs au climat et à l’environnement et dit vouloir obtenir dans ces dossiers, comme dans les autres, des « résultats ». 

Pourtant, aucun montant n’a été prévu à cet effet dans le cadre financier présenté en campagne électorale. 

Pire, les mesures en matière énergétique prônées jusqu’ici par la CAQ, soit la surproduction d’hydroélectricité et l’exploitation pétrolière et gazière, vont à l’encontre de l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre.

Le nouveau premier ministre s’est enfin donné le mandat de créer de la richesse et compte sur son pragmatisme pour y arriver, mais tout le monde ne s’entend pas sur les moyens de créer la richesse. 

Si le monde des affaires s’est dit heureux de la composition du cabinet de M. Legault, c’est probablement parce qu’il s’attend, entre autres, à ce que l’impôt des entreprises demeure faible et que le salaire minimum ne soit pas augmenté significativement. Or, non seulement l’efficacité de ces mesures n’a pas été démontrée, mais elles minent la capacité du gouvernement à financer adéquatement les services publics, à réduire les inégalités et à lutter contre la pauvreté. 

En somme, M. Legault et ses collègues doivent s’attendre à de la résistance si, sous prétexte d’améliorer la performance économique du Québec, ils ne font, dans les faits, que gouverner pour le seul bénéfice de l’élite économique de la province.

Les préoccupations des employeurs doivent être prises en considération

D’entrée de jeu, soulignons que l’expertise de l’ensemble des ministres du nouveau gouvernement ayant un profil économique ne fait pas de doute et que le trio nommé aux Finances, au Trésor et à l’Économie nous paraît fort d’une grande expérience professionnelle et de connaissances approfondies, autant sur le plan financier que du milieu des affaires. 

Or, outre celui de se familiariser avec les affaires de l’État, qui n’est pas une mince tâche en soi, le principal défi de ce trio sera de mettre en place rapidement des initiatives concrètes pertinentes, répondant aux enjeux auxquels les employeurs font face au Québec.

Pas besoin de tout réinventer puisque plusieurs stratégies, politiques et plans d’action, qui sont le fruit d’un large consensus et d’un travail de concertation avec les parties prenantes, ont déjà été définis, comme c’est le cas de la Stratégie nationale sur la main-d’œuvre et bien d’autres.

Nous encourageons donc avant tout le nouveau gouvernement à faire en sorte que les mesures les plus porteuses soient adoptées sans tarder. 

Ce à quoi tout le monde s’attend, c’est de voir des actions sur le terrain et les résultats qui doivent suivre, ce que les membres du trio comprennent certainement étant donné leurs propres parcours.

Par exemple, dans la prochaine décennie, c’est un million et demi d’emplois qui seront à pourvoir et la solution réside dans un ensemble de mesures visant à préparer et à intégrer le plus grand nombre de personnes au marché du travail. Pour remédier à la situation, le trio devra collaborer étroitement avec d’autres ministères tous aussi importants économiquement : les pistes sont variées, mais l’éducation et l’enseignement supérieur, la formation des travailleurs en emploi, l’immigration et l’intégration joueront un rôle clé dans cette équation.

Un système d’éducation de grande qualité et capable d’ajuster ses services et ses programmes en fonction des besoins du marché du travail est incontournable pour répondre à la rareté de main-d’œuvre qui accable plusieurs secteurs économiques et régions du Québec. Parallèlement, il faut faciliter l’intégration au marché de l’emploi et à la société de bassins de travailleurs qui demeurent sous-représentés, comme les nouveaux arrivants, les personnes en situation de handicap ou les autochtones.

La vitalité économique du Québec passe entre autres par une fiscalité et une réglementation compétitives. Rappelons que notre province est un des endroits en Amérique du Nord où les fardeaux fiscal et réglementaire des entreprises sont les plus lourds. 

Par ailleurs, notre prospérité future va aussi dépendre du maintien de l’équilibre budgétaire, afin d’être en mesure d’éponger les impacts d’une éventuelle récession.

Il faut continuer de garantir une certaine capacité d’investissement de l’État, sans augmenter la charge fiscale des entreprises et des particuliers.

Le gouvernement devra poursuivre et bonifier régulièrement des mesures d’accompagnement ciblées pour les entreprises, car l’amélioration de la compétitivité passe par des investissements stratégiques, notamment en automatisation, en informatisation et en matière d’intelligence artificielle. Il devra à la fois miser sur des secteurs économiques constitués de donneurs d’ouvrage importants, qui agissent comme autant de leviers pour des écosystèmes de fournisseurs et de petites et moyennes entreprises, et à la fois sur des domaines stratégiques d’interventions multisectorielles comme les technologies, la construction, les infrastructures et la mobilité des personnes et des marchandises. 

Enfin, il faut rappeler qu’au moment de donner une autorisation pour un grand projet, les retombées économiques doivent être considérées au même niveau que leurs impacts environnementaux et sociaux. La réglementation et la rapidité dans la livraison des permis doivent être adaptées à la réalité des entreprises et contribuer aussi au maintien d’un environnement d’affaires attrayant et compétitif, autant sur le plan national que régional et international.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.