Opinion Jocelyn Coulon

Organisation internationale de la FrancophoniE
Michaëlle Jean en danger ?

La secrétaire générale de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), Michaëlle Jean, ne s’attendait sans doute pas à une telle nouvelle. Depuis une semaine, la rumeur circule en France et en Afrique qu’une politicienne rwandaise serait candidate pour la remplacer lors du sommet de la Francophonie en octobre prochain.

Louise Mushikiwabo, ministre des Affaires étrangères du Rwanda, envisage de se présenter à la tête de l’OIF. Elle aurait obtenu l’appui de la France et de plusieurs pays africains déçus par la performance de Mme Jean et désireux d’offrir le poste à un leader africain. Ni la principale intéressée ni l’Élysée n’ont nié la rumeur.

Le moment où survient cette rumeur est loin d’être un hasard. Mme Jean est, depuis son entrée en fonction il y a plus de trois ans, l’objet de nombreuses accusations et d’insinuations à propos de son train de vie et de la gestion douteuse de certains projets.

La dernière controverse, révélée par le Journal de Québec, ajoute de l’eau au moulin. Elle porte sur les éventuels dépassements de coûts d’une formation pour 100 jeunes à bord d’un navire de l’Association Hermione-La Fayette, projet qui avait fait l’objet d’une forte contestation de la part des gestionnaires de l’OIF lors de sa présentation à Mme Jean. Elle avait passé outre.

Dans un courriel, un cadre de l’OIF s’inquiétait du dépassement des coûts de ce projet et soulignait qu’il faudrait « essayer de masquer l’aberration de son montage budgétaire pour le bien général de l’Organisation ». Hier, l’OIF m’a informé que le cadre a nié avoir tenu de tels propos.

Est-ce que toutes ces accusations concernant des dépenses inconsidérées de la secrétaire générale depuis son arrivée en poste sont justifiées ? L’histoire le dira, mais leur effet cumulatif donne une très mauvaise image de l’OIF.

Ainsi, l’affaire Hermione place le gouvernement canadien dans l’embarras. Lundi, le bureau de la ministre responsable de la Francophonie, Marie-Claude Bibeau, m’a fait part de sa volonté « d’obtenir des réponses de l’administration de l’OIF afin de déterminer les raisons qui expliquent l’augmentation des prévisions de financement du projet Hermione ». Pour sa part, l’ambassade du Canada à Paris a « pris connaissance des prévisions budgétaires […] afin d’avoir une meilleure compréhension des dépenses liées au projet Hermione ». En clair, Ottawa fait confiance, mais préfère vérifier.

Cette nouvelle affaire intervient alors que la Francophonie souffre du syndrome de la grenouille qui veut se faire aussi grosse que le bœuf.

Au début, il y a une quarantaine d’années, elle s’occupait essentiellement de langue et de culture. L’OIF s’est ensuite donné un mandat plus politique, essentiellement tourné vers la promotion de la démocratie, le respect et la consolidation de l’État de droit et la défense des droits de la personne. C’est déjà un vaste mandat et elle réussit assez bien à le mettre en œuvre.

Malheureusement, les États membres, dont la France, n’ont cessé de charger la barque et de voir grand. Trop, sans doute. Aujourd’hui, l’OIF s’occupe aussi d’économie, d’environnement, de développement durable, de maintien de la paix, de lutte contre le terrorisme.

En parallèle, l’Organisation ne cesse de s’étendre. Elle regroupe 84 pays et gouvernements, presque la moitié des États de la planète, alors qu’à peine une trentaine ont le français comme langue officielle. En 2016, n’eût été l’intervention décisive du Canada et du Québec, un des États les plus malfaisants, l’Arabie saoudite, serait devenu membre. C’est dire où le ridicule peut parfois entraîner une organisation.

La multiplication de ses responsabilités et l’admission inconsidérée de nouveaux membres interviennent à un moment où l’OIF voit son budget stagner.

Celui-ci oscille autour de 74 millions d’euros (110 millions de dollars canadiens) annuellement depuis cinq ans.

Dans ces circonstances, chaque projet (Hermione atteint environ 1 million de dollars), chaque dépense devient un enjeu de gouvernance particulièrement sensible et dont la gestion demande rigueur et bonne communication.

L’OIF prépare maintenant son prochain sommet, en octobre, en Arménie. Se joueront alors les questions budgétaires et la réélection ou non de Mme Jean. Certains prétendent que son bilan est très positif, qu’elle a insufflé une énergie nouvelle à une organisation aux méthodes rigides et à la visibilité réduite.

D’autres, au contraire, pensent que la greffe n’a jamais pris entre elle et les Africains qui représentent la majorité des membres. D’où la rumeur autour de la candidature de la ministre rwandaise. Si celle-ci devait se confirmer et si la France devait l’appuyer, il est à parier que Mme Jean perdrait son poste, victime des manœuvres politiques des uns et des autres plutôt que des affaires qui entachent sa réputation.

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