caribou forestier

Des aires protégées n’auraient pas d’impact sur l’industie forestière

Selon une série de documents internes que le gouvernement du Québec tarde à rendre publics et que La Presse a obtenus en exclusivité, il est possible de créer de grandes aires protégées au profit du caribou forestier sans nuire outre mesure à l’industrie.

Cette conclusion se dégage de l’information extrêmement détaillée colligée par les fonctionnaires du ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs (MFFP) et l’Équipe de rétablissement du caribou forestier. Elle est répartie dans quatre documents truffés de cartes et d’analyses, sur un total de 275 pages.

Ce travail semble répondre aux vœux du Forestier en chef du Québec, qui affirmait en janvier 2015 que dans le dossier épineux de la protection du caribou forestier, une espèce emblématique de la forêt boréale, « il importe d’éclairer les décisions par des données, des informations et des connaissances à jour ».

« Par souci de transparence, il est aussi d’intérêt que ces [connaissances] soient diffusées et accessibles aux parties intéressées », ajoutait le Forestier en chef.

Mais depuis des mois, le gouvernement québécois refuse de rendre ces rapports publics, ce que dénonce la section québécoise de la Société pour la nature et les parcs (SNAP), qui les a remis à La Presse.

D’autant plus qu’au même moment, le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs ouvre des territoires de coupe au sein de l’aire protégée qui est jugée « à prioriser », comme le révélait La Presse en juin dernier.

« Il est inacceptable que le gouvernement occulte des rapports aussi importants alors qu’il travaille en ce moment même à l’élaboration d’une grande aire protégée pour le caribou forestier dans le secteur des montagnes Blanches », avance Alain Branchaud, directeur général de la SNAP Québec.

Selon la SNAP, Québec a maintenant toute l’information scientifique afin de prendre les décisions qui s’imposent pour protéger le caribou forestier.

Yves Lachapelle, directeur Foresterie et Approvisionnements au Conseil de l’industrie forestière du Québec et membre de l’Équipe de rétablissement, est d’accord. « Ces documents m’apparaissent sérieux et utiles », dit-il, et « absolument rien » ne s’oppose à leur diffusion.

« très bonnes » probabilités de survie

Un de ces documents, daté d’avril 2015, est intitulé « Identification des secteurs prioritaires pour la création de grandes aires protégées pour le caribou forestier ».

Dans ces aires, un « taux de perturbation » de moins de 35 % serait imposé. Cela veut dire que certaines activités seraient possibles, en tenant compte du cumul des activités humaines et des perturbations naturelles, comme les incendies de forêt. En pratique, cependant, il n’y aurait pas d’exploitation forestière dans ces zones.

La recherche sur le caribou forestier démontre que l’espèce tolère très mal les activités humaines en forêt.

Des cartes précises délimitent trois zones de protection qui offrent le meilleur potentiel : une en Abitibi, une sur la Côte-Nord et une troisième, à mi-chemin, dans la zone des montagnes Blanches, au nord-ouest du réservoir Manicouagan.

Ce dernier secteur appelé Manouane-Plétipi-Manicouagan « se démarque clairement comme étant celui à prioriser », souligne le rapport, rédigé par l’Équipe de rétablissement du caribou forestier.

« En effet, la forte probabilité relative d’occurrence sur 10 000 km2 pour ce secteur a été validée par des inventaires récents qui ont démontré une densité élevée de caribous et de réseaux de pistes », affirme-t-on.

On ajoute que « seulement 1,5 % du territoire fait l’objet de titres miniers et, bien que 45 % du secteur soit en forêt aménagée, une proportion importante est située dans l’unité d’aménagement 093-52, une unité abandonnée par Kruger en 2007 où de nombreux secteurs demeurent inaccessibles aux opérations forestières ».

Dans un autre document encore non publié, réalisé par les fonctionnaires du MFFP, une carte démontre que sur la plus grande partie de ce territoire, la ressource forestière est plutôt pauvre.

Ce document intitulé « Solutions de mise en œuvre des lignes directrices pour l’aménagement de l’habitat du caribou forestier » est daté de décembre 2015.

Il indique une « concentration moyenne de peuplements productifs » dans la plus grande partie du secteur Manouane-Plétipi-Manicouagan, ce qui en fait une zone de moindre intérêt pour l’industrie.

Les fonctionnaires concluent en outre que les « territoires actuellement peu perturbés sur une grande superficie contiguë offrent l’occasion de délimiter de vastes espaces propices au caribou, c’est-à-dire des endroits où les probabilités de survie de l’espèce seront très bonnes ».

« Une certaine marge de manœuvre »

Enfin, une troisième information se trouve dans un troisième document, intitulé « Rapport d’analyse sur l’intégration des Lignes directrices pour l’aménagement de l’habitat du caribou forestier (2013) dans la planification territoriale », daté lui aussi de décembre 2015 et réalisé par le MFFP.

Les fonctionnaires ont calculé que la mise en œuvre de mesures de protection du caribou diminuerait le volume de bois disponible pour l’industrie de 4 % à 15 %, selon le scénario adopté, pour l’ensemble du Québec. La diminution atteindrait au maximum 18 % ou 19 % dans deux régions.

Or, selon les calculs de la SNAP, sur la période 2000-2012, la récolte de bois a été inférieure de 19 % à la possibilité forestière pour les quatre essences de la forêt boréale (sapin, épinette, pin gris et mélèze). Pour les espèces feuillues, l’écart est encore plus grand : la récolte était en moyenne 60 % inférieure à la possibilité forestière.

Ces calculs de la SNAP concordent avec ceux du Forestier en chef : seulement 55 % de la possibilité forestière a été récoltée de 2008 à 2013, selon l’information contenue dans son rapport quinquennal paru l’an dernier.

Autrement dit, affirme la SNAP, même en retirant de 4 à 15 % des volumes de bois disponible pour l’industrie pour protéger le caribou, celle-ci pourrait avoir accès à des volumes de bois semblables à ce qu’elle prélève actuellement.

« Cela laisse entendre qu’il y a une certaine marge de manœuvre pour la protection du caribou forestier et que la demande du Conseil de l’industrie forestière du Québec de ne pas perdre un seul mètre cube de bois de possibilités forestières ne constitue pas une position de compromis », affirme Pier-Olivier Boudreault, chargé de projet en conservation et foresterie à la SNAP-Québec.

À ce sujet, Yves Lachapelle affirme s’être dissocié de l’Équipe de rétablissement. « Pour moi, qu’une aire protégée soit ou non dans la forêt commerciale ou pas, ce n’est pas pertinent, dit-il. J’aurais préféré que l’ensemble des efforts de rétablissement se fassent à l’extérieur de la forêt commerciale. »

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