collecte de données et protection de la vie privée

Montréal veut éviter l’effet Big Brother

Avec la prolifération des systèmes qui colligent des tonnes de données sur les citoyens, la Ville de Montréal veut éviter l’effet Big Brother. Un rapport obtenu par La Presse détaille comment la métropole peut éviter les dérives en se dotant d’un code d’éthique sur la collecte de données et ainsi protéger la vie privée des Montréalais. Surtout, l’administration Plante n’entend pas imiter Toronto, qui a confié à Google le mandat d’implanter une foule de capteurs, préférant garder le contrôle sur les informations colligées.

Collecte de données

Avec le déploiement rapide de la fibre optique dans l’île, l’arrivée prochaine du réseau 5G et les avancées dans les systèmes de collecte de données – souvent appelés internet des objets –, Montréal s’inquiète des risques pour la vie privée de ses citoyens. Pour l’heure, les systèmes intelligents sont limités dans la métropole québécoise : des feux de circulation connectés, des appareils qui évaluent en temps réel l’achalandage dans le Quartier des spectacles. Mais de nombreux autres sont à prévoir. La Ville travaille, par exemple, sur un projet de capteurs qui détectent les cases de stationnement vacantes afin d’orienter les automobilistes cherchant à se garer. « Toutes les villes s’en vont vers ça, dit François Croteau, élu responsable de la Ville intelligente. Alors avant d’avoir une stratégie de déploiement, on a des questions à se poser pour éviter une dérive. On veut éviter une situation qui s’apparenterait à Big Brother. »

Étude commandée

Pour éviter les dérapages éthiques, la Ville de Montréal a commandé une étude au Centre international de référence sur le cycle de vie des produits, procédés et services (CIRAIG), de Polytechnique Montréal. Son rapport de 85 pages, que La Presse a obtenu, définit de nombreuses menaces, notamment que la collecte de données encourage le profilage et la discrimination ou brime la vie privée des citoyens en permettant de les suivre à la trace à leur insu. « On sait qu’avec un algorithme, seulement quatre données de géolocalisation permettent d’identifier une personne sans qu’elle se soit elle-même identifiée, illustre François Croteau. On a tous Big Brother en tête et on ne veut pas y arriver. » Les chercheurs recommandent ainsi à Montréal d’adopter 11 principes pour encadrer l’utilisation des données et éviter les dérives.

Principes éthiques proposés pour Montréal

Voici les 11 principes éthiques recommandés à Montréal par les chercheurs du CIRAIG : 

— Transparence sur la collecte des données : qui récolte, quelles données, quand, où, comment et dans quel but ?

— Protéger et respecter la vie privée des citoyens

— Assurer le traitement juste et impartial des données pour éviter le profilage et la discrimination

— Assurer la sécurité des systèmes pour prévenir les attaques informatiques

— Lorsque des décisions sont prises de façon automatisée, s’assurer que les citoyens aient accès aux logiques dictant les choix des algorithmes.

— S’assurer que l’internet des objets soit au service du bien commun

— Promouvoir la démocratie et la participation citoyenne

— Montréal doit assurer son autonomie pour faire primer l’intérêt public sur celui des intérêts privés.

— Préserver le sentiment de liberté des citoyens

— Bonne gestion des données pour en maximiser les bénéfices

— Évaluer les impacts et changements à long terme de tout nouveau programme.

Et le consentement ?

À l’issue de leurs travaux, les chercheurs du CIRAIG ont constaté que d’importantes questions restent encore à régler, notamment celle du consentement. Leur rapport note qu’à une époque où les données sont colligées en tout temps et pratiquement partout, « il est difficile de procéder au consentement individuel de tous les citoyens touchés par cette collecte de données ». François Croteau indique que la Ville de Montréal a entrepris des travaux visant spécifiquement le consentement. Les chercheurs s’interrogent aussi sur les façons de s’assurer que les données soient utilisées strictement aux fins prévues. Ils invitent aussi à réfléchir sur les dangers que pourrait entraîner le croisement de données pour identifier les citoyens. Les chercheurs recommandent d’ouvrir le débat et de ne pas le limiter à l’intérieur de l’appareil municipal.

Modèle public

C’est pour pouvoir respecter ces règles éthiques que Montréal souhaite mettre de l’avant un système public dans lequel la métropole demeurerait propriétaire des données colligées dans l’île. « On doit s’interroger sur le rôle du privé dans ce déploiement. C’est clair pour nous que la propriété des données et un tel système devront être la propriété de la Ville », dit François Croteau. L’administration Plante compte ainsi adopter une politique dans les prochains mois pour baliser les collectes de données. « C’est clair que, pour une question de confiance, nous devrons faire preuve de transparence », dit M. Croteau. En gardant le contrôle, Montréal veut ainsi pouvoir établir des critères clairs afin de déterminer les données qui seront libérées.

Non au modèle de Toronto

L’administration rejette ainsi l’approche prise par la Ville de Toronto, qui a confié le mandat à Google de développer un tout nouveau quartier en misant massivement sur l’internet des objets, le projet Sidewalk Lab. La Ville Reine souhaite améliorer la mobilité de ses citoyens en colligeant l’information sur leurs déplacements. Comme plusieurs, François Croteau craint les dérives possibles de voir toutes ces données entre les mains d’une entreprise. « Nous ne voulons pas de ce type de modèle. Pour nous, Toronto est l’exemple à ne pas suivre, résume François Croteau. Nous voulons assurer la protection de la vie privée, des données personnelles. Si on déploie des systèmes, c’est pour améliorer les services aux citoyens, leur qualité de vie, réduire les iniquités, pas les accentuer. » Si Toronto est l’exemple le plus près de Montréal, François Croteau souligne que d’autres ont pris ce chemin, notamment en Chine où le géant Alibaba est à s’implanter dans plusieurs villes.

Prise de conscience

Montréal a notamment pris conscience des risques de dérapage après avoir créé en 2013 une application pour améliorer la planification de son réseau cyclable, RésoVélo. Des milliers de cyclistes ont accepté d’être suivis à la trace grâce à leur téléphone intelligent, afin de permettre à la Ville de déterminer les rues les plus achalandées. L’idée au départ était de rendre l’information disponible en données ouvertes, mais on a vite découvert un risque de dérapage. Au lieu d’activer l’application en début de parcours et de la fermer à destination, plusieurs la laissaient ouverte en tout temps. Une analyse des informations ainsi colligées permettait de savoir à quelle adresse un usager habite, à quelle heure il a l’habitude de partir, où il travaille et combien de temps il reste au boulot. Bref, des informations bien utiles pour une personne mal intentionnée.

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