Mon clin d’oeil  Stéphane Laporte

Pour gagner la Coupe Stanley, Alexandre Taillefer choisit Vegas, Winnipeg, Tampa Bay et Washington.

TÉMOIGNAGE

Je n’avais pas prévu passer chez le fleuriste

6 mai. La nouvelle tombe sur Facebook, entre une publication de bagages perdus au retour d’un voyage à Paris et une photo de ratons laveurs infiltrant un bac à compost dans Verdun.

Il est parti trop tôt. Il était un fils adoré, un parrain merveilleux, un ami sur qui on peut toujours compter. Son sourire nous manquera. La déferlante de phrases clichées annonce un message clair : quelqu’un est mort.

Il paraît qu’à partir d’un certain âge, on regarde souvent la nécrologie, cette intrigante rubrique du journal, la seule à ne pas être disparue des médias imprimés, relique résistante aux technologies. C’est logique : plus on vieillit, plus nos amis vieillissent et leurs parents vieillissent aussi. Alors, inévitablement, on connaîtra de plus en plus de noms dans le journal.

Seulement toi, tu ne vieilliras plus.

Tu faisais partie de ces statistiques invisibles où une personne sur cinq déclare avoir un niveau de détresse psychologique élevé.

En bonus, tu as décidé de te joindre à un autre groupe de données effrayantes : trois personnes se suicident chaque jour au Québec.

Tu es parti au début de la Semaine nationale de la santé mentale. Quelle ironie, tout de même… Je ne savais même pas qu’une telle semaine existait, et j’ai soudainement envie qu’elle dure toute l’année. Je veux lire tous les jours de toutes les semaines de tous les mois de tous les calendriers sur tous les murs : « Prenons soin de nous, bordel !  » 

La nécrologie, c’est pour les vieilles dames coquettes qui arborent un grand sourire devant une tapisserie fleurie. C’est pour les messieurs d’un certain âge, au dos voûté et au regard sérieux derrière leurs lunettes.

Pas pour mes amis de 33 ans.

Et c’est là, entre une publication sur le premier repas de homard de la saison et une recommandation pour un bon garagiste, que les « j’aurais dû » arrivent. Ça commence par un tout petit murmure, qui devient vite un torrent si on se laisse emporter.

J’aurais dû voir les signes, j’aurais dû être à l’écoute, j’aurais dû être plus disponible.

J’aurais dû l’appeler.

J’aurais dû prendre de ses nouvelles.

J’aurais dû lui dire que je pensais à lui, même si on ne se voyait plus.

J’aurais dû lui rappeler qu’il était important pour moi, que je l’aimais.

J’aurais dû lui demander, simplement, comment ça va ?

Les « j’aurais dû » entraînent les regrets et la culpabilité, mais ils n’apportent pas de réponses.

Oui au yoga, au sport, aux mandalas, au comfort food, aux vacances dans un tout-inclus dans le Sud une fois par année, au verre de vin du « jeudredi », à ces exutoires individuels et ces béquilles inoffensives. Mais nous devons aussi avoir une meilleure santé mentale collective.

Après la conciliation travail-famille, il serait temps de se pencher sur la conciliation travail-santé.

Il faut soutenir financièrement les personnes en dépression. Il faut dénoncer les milieux de travail toxiques. Se parler de notre épuisement mutuel. Reconnaître l’anxiété de performance. Il faut prévenir l’automédication à l’alcool et aux drogues. Il faut des ressources pour intervenir avant les crises. Il faut nommer nos maux, ceux-là mêmes auxquels 20 % de la population québécoise sera confrontée au cours de sa vie. Faire tomber les tabous.

Il faut trouver un moyen de passer du conditionnel au futur. Troquer les « j’aurais dû » pour des actions concrètes. Commençons par quelque chose de simple : parler.

Je n’avais pas prévu passer chez le fleuriste. Et aujourd’hui, je pleure, toute seule dans ma cuisine, un bouquet à la main.

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