Entrevue avec Éric Martel, président d'Hydro-Québec

« On n’a rien à cacher ! »

En poste depuis exactement deux ans, le président d’Hydro-Québec, Éric Martel, s’était donné pour objectif de changer les communications de la société d’État. Mot d’ordre : authenticité et transparence. M. Martel a répondu aux questions de La Presse sur plusieurs sujets, de la tarification aux exportations, en passant par les ambitieux projets de Terre-Neuve.

Entrevue avec Éric Martel, président d'Hydro-Québec

Quatre priorités

À votre arrivée le 6 juillet 2015, vous aviez établi quatre priorités : améliorer la transparence de l’entreprise, le service à la clientèle, la productivité et soutenir la croissance des activités. Quel bilan dressez-vous ?

Il faut être honnête avec les Québécois. Parler aux gens et leur dire les vraies choses. Avant d’arriver en poste, j’écoutais les porte-parole d’Hydro-Québec et les pauvres avaient peu de choses à dire. Ils allaient se faire interviewer et ça virait mal, parce que les gens voyaient qu’on ne leur disait pas tout. Quand je suis arrivé, je leur ai dit : « Connaissez vos dossiers et répondez aux questions honnêtement. On n’a rien à cacher à Hydro-Québec. »  Et à l’interne, ça ne communiquait pas, les employés étaient frustrés. Une fois par mois, je rencontre tout le management de l’organisation pendant une heure et demie. Les gestionnaires savent où on s’en va et ce que j’attends d’eux. Après, ils parlent à leurs employés. Aussi, je n’entendais pas souvent le mot client. Depuis, on a réussi à améliorer notre service à la clientèle. Le taux de satisfaction est passé de 79 % à plus de 90 % depuis un an. On a amélioré aussi la productivité à l’interne avec le plus bas nombre d’employés depuis 1986 et plus de clients.

Entrevue avec Éric Martel, président d'Hydro-Québec

D'autres projets ?

Actuellement, on construit le complexe hydroélectrique de la Romaine, bientôt un parc solaire… Si on est en surplus d’électricité, est-ce qu’on va continuer à construire encore des barrages ?

Ça n’aurait aucun sens demain matin de dire qu’on va construire un nouvel ouvrage ! On n’en a pas besoin ! Mais en même temps, il faut se préparer, parce que ce sont des projets de longue haleine. On veut savoir sur quelle rivière ce serait rentable de le faire. Si on n’a pas besoin de faire de barrages au Québec, on a une expertise qu’on a développée et qu’on ne veut pas perdre. Travailler à l’international pourrait nous aider à nous assurer qu’on maintienne ce savoir. Parce que si on arrête pendant 10 ou 15 ans, ce savoir-là risque de se dissiper.

Entrevue avec Éric Martel, président d'Hydro-Québec

Investir à l'étranger

Justement, est-ce qu’investir à l’étranger dans la production, le transport et la distribution d’énergie est une bonne stratégie pour Hydro-Québec ? (La relance d’Hydro-Québec International fait partie du plan stratégique.) Est-ce que les Québécois veulent qu’Hydro-Québec prenne ce risque-là ?

Depuis 2007, les Québécois ne consomment pas plus d’énergie et on veut continuer d’avoir les meilleurs tarifs en Amérique du Nord. Un moment donné, les coûts vont croître. On ne peut pas dire aux employés : « On va geler vos salaires pendant 15 ans. » Et du côté de nos fournisseurs, il y a de l’inflation. Il faut trouver un moyen, si on veut continuer de contribuer financièrement à l’État. Mais on est très sélectifs. On s’est défini des critères. On est une société d’État et on ne peut pas faire affaire avec n’importe quel pays. Il y a des régimes politiques qui sont instables. On n’ira pas dans ça. On n’ira pas dans des choses qu’on ne connaît pas. On va s’assurer que c’est rentable et qu’on peut gérer tous les risques. À la fin, on ne fait pas ça juste pour se faire plaisir. Il faut qu’il y ait un bénéfice et que les Québécois disent : « Wow ! On a fait cette acquisition-là grâce à l’expertise d’Hydro-Québec. Et en plus, ça nous rapporte. »

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La ligne de transport Northern Pass

Actuellement, c’est rentable d’exporter notre électricité aux États-Unis. Mais est-ce que ce le sera encore avec la construction de la nouvelle ligne de transport Northern Pass du Québec jusqu’au sud du New Hampshire ? Les experts ne s’entendent pas…

Si on réussit à décrocher les contrats d’exportation aux États-Unis, à New York et en Nouvelle-Angleterre, ce seront des contrats historiques ! On va connaître les gagnants dans quelques mois. Oui, c’est très rentable, mais c’est complexe. Il y a beaucoup de confusion. Du côté américain, c’est eux qui font la construction, qui prennent tous les risques et qui payent. Nous, on transporte les électrons jusqu’à la frontière. L’investissement est quand même important de notre côté, mais le retour est important aussi. Il faut se rappeler qu’aujourd’hui, même si on exporte seulement 15 % de notre production, c’est le tiers de nos profits. Et on est quand même dans un moment où le prix de marché est très bas. S’il fallait construire de nouveaux barrages, ce serait une autre question. Mais tout est là.

Entrevue avec Éric Martel, président d'Hydro-Québec

Le projet Muskrat Falls

Le projet Muskrat Falls à Terre-Neuve-et-Labrador est un gouffre financier (le budget atteint maintenant 12,7 milliards). Est-ce qu’Hydro-Québec pourrait venir en aide aux Terre-Neuviens ?

Pour être très honnête, moi, je l’aurais souhaité. Mais l’ouverture n’est pas là. C’est historique comme enjeu. Quand Hydro-Québec est arrivée en 1969 [pour Churchill Falls], il y avait trois enjeux : le financement, l’aspect technique et le manque de clients. Ils construisaient un barrage costaud. À l’époque, on n’était pas si contents [de participer au projet], parce que ça a retardé la Baie James. Les gens critiquent : oui, on a eu l’énergie à bon prix. Mais ils oublient qu’on a pris le risque, qu’on a terminé l’ouvrage et qu’on a acheté toute l’énergie. Ils n’avaient pas à courir après les clients jusqu’en 2041.  Depuis les années 70, ça fait 15 fois qu’on va devant les tribunaux. L’an passé, on a encore gagné. On a dit : « Ne faites pas appel, et on est prêts à offrir quelque chose. » Ils ont choisi d’aller à la Cour suprême. À ce moment-là, je ne peux pas devenir partenaire de quelqu’un qui m’amène à la Cour suprême.

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La tarification variable selon l'heure

Au sujet du projet de tarification variable selon l’heure, récemment recommandé par la Régie de l’énergie, est-ce que les compteurs intelligents sont déjà équipés pour faire les calculs ? Est-ce qu’on va récompenser les Québécois qui font leur lavage la nuit ? Ou punir ceux qui continueront de faire leur lavage durant les heures de pointe ?

Oui, les compteurs intelligents nous permettent déjà de lire les données. On est capables de savoir chaque seconde combien les gens consomment. Les données rentrent ici, mais ça prend un système informatique pour les traiter. Pour cet aspect, on n’en est pas là. On parle de faire un projet pilote et de donner un choix au client. Ce ne sera pas obligatoire. Si les gens embarquent là-dedans et payent leur électricité plus cher à l’heure de pointe, par exemple entre 17 h et 19 h, et qu’ils continuent de consommer de la même façon, ça risque de leur coûter plus cher. Mais s’ils changent leurs habitudes, ils vont économiser. Mais avant tout, il faut développer les outils pour gérer un tel système.

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