Idées d'ailleurs

Des abattoirs qui vont de ferme en ferme

Animaux transportés sur de longues distances et stressés, cadence d’abattage élevée… Devant les désavantages de l’abattage industriel, une autre solution est possible : l’abattoir mobile, qui se déplace directement à la ferme.

Le problème

Des abattoirs où les conditions de bien-être animal ne sont pas optimisées.

Une solution

En Suède, un abattoir mobile se déplace de ferme en ferme pour tuer les bêtes directement dans leur lieu de vie.

En 1999, une ancienne éleveuse, Britt-Marie Stegs, fonde la marque Hälsingestintan en Suède. Elle cherche de la viande de qualité dans son pays pour la revendre, mais en trouve difficilement. Elle se rend compte que les animaux envoyés à l’abattoir sont stressés par le transport, par un environnement qui ne leur est pas familier, par l’attente… Alors, à la fin de 2014, après deux ans de réflexion, elle lance un abattoir mobile. Plutôt que d’envoyer les bêtes à l’abattoir, c’est désormais l’abattoir qui vient à la ferme. Les bovins n’ont plus à changer d’environnement, et l’éleveur est présent pour les transférer directement de leur champ ou de leur stabule au camion.

Quelles similitudes avec un abattoir ordinaire ?

L’abattoir itinérant respecte les mêmes conditions de sécurité qu’un abattoir ordinaire. Il se compose de trois véhicules. L’un contient des bureaux et des vestiaires, un autre, un entrepôt réfrigéré pour la viande et, enfin, un camion est destiné à l’abattage. Coût de cet investissement : 3 millions de dollars. Le camion, une fois arrivé dans la ferme, s’agrandit pour que le toit atteigne 6 mètres de haut. « Six personnes travaillent sur la ligne et cela fonctionne bien, mais bien sûr, elles doivent travailler un peu plus lentement à cause de la sécurité, parce qu’il est difficile d’opérer dans un espace si étroit », explique Britt-Marie Stegs. Un vétérinaire est présent tout le long du processus. Jusqu’à 30 bêtes peuvent être tuées par jour. Une fois abattus dans le camion, les bovins sont dépecés. Les carcasses reposent entre sept et dix jours à l’usine de découpe de Hälsingestintan, elles sont découpées puis vendues dans des supermarchés.

Est-ce rentable ?

Aujourd’hui, 25 éleveurs font partie du réseau, et environ 5000 bovins sont abattus chaque année. Le camion se déplace jusqu’à 350 km, pour a minima une vingtaine de bêtes à abattre. « Nous avons mesuré le taux de stress des animaux et il est très bas, ce qui rend la viande plus tendre et savoureuse », assure Britt-Marie Stegs. À cause de charges plus importantes et d’un rendement moins élevé que dans un abattoir classique, la viande est vendue 25 % plus cher. « Mais beaucoup de gens se soucient du bien-être des animaux et sont prêts à en payer le prix », affirme la cheffe d’entreprise. Elle met en avant une meilleure traçabilité que dans un abattoir traditionnel. « Chaque paquet de viande est étiqueté avec l’âge de l’animal, son sexe, sa race et la ferme d’où il vient », précise-t-elle. Deux Français, convaincus par les avantages de l’abattoir itinérant, collaborent avec Britt-Marie Stegs pour lancer le même concept en Bourgogne dans les prochains mois.

Kevin Wade, directeur du département des sciences animales de l’Université McGill

Légalement, il est possible d’exploiter un abattoir mobile au Québec, à condition de respecter les exigences prévues par la réglementation (loi et règlements). Cela a d’ailleurs existé en Abitibi de 2005 à 2008, mais le projet a été abandonné, faute de rentabilité.

Kevin Wade explique ne pas voir « de désavantages » à ce système pour les animaux. « Le voyage et l’attente dans des camions inconnus sont probablement les événements les plus stressants de la vie d’un animal, sans parler des blessures potentielles, du manque d’accès à l’eau… Le stress peut modifier considérablement la qualité du produit final de la viande. Tout cela semble presque complètement évité avec ce système, où les animaux restent dans un environnement familier. De plus, on peut supposer que certaines unités mobiles pourraient être adaptées et bénéficier de la supervision appropriée pour un abattage spécialisé tel que casher ou halal. On peut imaginer que cet abattoir mobile respecterait encore mieux la réglementation en vigueur, car il traite un plus petit nombre d’animaux qu’un abattoir traditionnel dans un environnement d’usine. Si les détaillants et les consommateurs sont prêts à payer plus pour le bien-être des animaux, cela peut créer une niche sur le marché, comme les produits biologiques ou locaux. En revanche, une telle unité mobile est coûteuse. Est-ce que la qualité de la viande, grâce à la réduction du stress, est suffisante pour couvrir des coûts plus élevés, à long terme ? Peut-être qu’un programme, que des aides pour la mise en place d’abattoirs mobiles pourraient résoudre ce problème de coûts. »

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