Hockey

Quand le FBI appelle Joé Juneau...

Dans le petit monde du hockey, Joé Juneau est perçu comme un « cerveau ». Il est à l’opposé du stéréotype du hockeyeur bébête incarné par Patrice Lemieux.

Juneau a joué pour une université américaine, où il a décroché un diplôme en génie aérospatial avec une excellente moyenne, même s’il ne parlait pratiquement pas un mot d’anglais à son arrivée. Depuis sa retraite, il a lancé un programme pour développer le hockey au Nunavik.

Ça ne l’a pas empêché, s’il faut en croire un dossier monté par le FBI, de se faire embobiner par un conseiller financier et de se faire soutirer des centaines de milliers de dollars.

Il n’est pas le seul : Juneau et une douzaine de joueurs et d’anciens joueurs de la LNH auraient été détroussés de plus de 15 millions de dollars par le conseiller financier Phil Kenner et l’ancien pilote de course Tommy Constantine.

Un procès criminel s’est ouvert la semaine dernière dans une cour fédérale de l’État de New York. Il pourrait s’agir de l’un des plus importants cas de fraude dans l’histoire de la LNH. Kenner et Constantine ont été arrêtés à la fin de 2013 et sont accusés de fraude, de complot et de blanchiment d’argent.

« Moi, j’avais tourné la page. Ça fait quelques années que c’est arrivé », a expliqué Juneau dans un entretien téléphonique. 

« Je ne pensais plus à ça depuis trois, quatre ans. Puis le FBI m’a appelé. Ils m’ont demandé de témoigner. Ils veulent faire un exemple de ça, je crois. »

— Joé Juneau

Juneau a été le premier à témoigner au procès, lundi et mardi derniers. Le hockeyeur québécois est une figure centrale de cette histoire rocambolesque, puisque Phil Kenner n’était pas seulement un conseiller financier, il était aussi un « bon ami » en qui Juneau avait confiance. Il a même été son garçon d’honneur à son mariage.

PREMIER VRAI CLIENT

Les deux hommes se sont rencontrés à l’Institut polytechnique de Rensselaer, où Juneau a étudié et joué au hockey à la fin des années 80. Kenner jouait aussi au hockey, mais avait un rôle de second violon.

Quand Kenner s’est lancé en finance, le Québécois a été son premier vrai client. « Au début, tout allait bien, les placements étaient sécuritaires », se souvient Juneau.

Puis quand il était avec les Bruins de Boston au début des années 90, Juneau a présenté à Kenner Derek Sanderson, un ancien coéquipier de Bobby Orr recyclé dans la finance. Sanderson avait lui-même perdu une partie de sa fortune aux mains d’un conseiller financier. Juneau se souvient que Kenner se servait de son exemple pour attirer des hockeyeurs.

« Derek Sanderson avait été un des premiers joueurs professionnels volés par son conseiller financier. [Phil Kenner] disait qu’il ne voulait pas que les joueurs revivent ce que Derek avait vécu. Il a monté sa clientèle en racontant l’histoire de Derek, en l’ayant même comme collègue. En bout de ligne, il a fait peut-être pire que ce que Derek s’était fait faire. »

TRAHI PAR UN AMI

Au fil des ans, Phil Kenner s’est monté une clientèle enviable parmi les joueurs de la LNH. Il y avait Joé Juneau, mais aussi Michael Peca, Bryan Berard, Owen Nolan, Ethan Moreau, Jozef Stumpel... Ils étaient en tout une douzaine de hockeyeurs.

Les choses ont tourné au vinaigre quand Kenner s’est éloigné des fonds d’investissement pour investir dans des projets privés, comme l’achat de terrains à Hawaii et le développement d’un terrain de golf au Mexique. Selon la poursuite, l’argent des hockeyeurs a été détourné pour financer le mode de vie princier de Kenner et Constantine, qui nient ces accusations et ont plaidé non coupable.

« Quand il a commencé à proposer des investissements privés, tout s’est mis à déraper. Je ne sais pas si, au départ, il y avait de mauvaises intentions de sa part, se demande Juneau. Ou si, à un moment donné, il s’est retrouvé pris dans l’engrenage et s’est mis à mentir à ses clients. »

Juneau a réalisé que tout n’était pas parfait quand il a pris sa retraite en 2005. À ce moment, il a essayé de retirer les millions investis, a-t-il raconté devant la cour la semaine dernière. Or, il avait de plus en plus de difficulté à joindre son conseiller financier. Il a dû l’appeler d’un numéro confidentiel pour qu’il réponde enfin.

Juneau aurait perdu 2 millions dans l’aventure, selon le New York Daily News. Pour le rembourser, Kenner lui aurait entre autres remis un avion d’une valeur de 437 000 $.

Peca et sa femme ont eux aussi témoigné cette semaine. Les millions qu’ils auraient perdus dans cette affaire seront difficilement récupérables, puisque les accusés soutiennent ne plus avoir un sou.

« Je me considère chanceux dans tout ça, dit Joé Juneau. J’avais investi dans toutes sortes d’affaires. » 

« Je me dis qu’en pourcentage de ce que j’ai pu gagner dans ma vie, c’est assez minime. Mais il y a plein de gars qui ont tout perdu ou pratiquement tout perdu. Ça me fait de quoi. »

— Joé Juneau

« J’ai trouvé ça plate que ça vienne d’un bon ami, de quelqu’un qui avait gagné mon amitié et ma confiance, dit-il. C’est ça qui m’a fait mal, ça et de voir qu’il s’est servi de moi pour nuire à d’autres personnes. »

Le procès de Kenner et Constantine se poursuit cette semaine. Un témoin-clé de la poursuite est attendu à la barre : Aaron Mascarella, un banquier proche de Kenner, a été l’un des premiers à alerter le FBI à propos des pratiques du conseiller financier.

S’ils sont reconnus coupables, les deux hommes sont passibles de 10 ans de prison.

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