Chronique

La cigarette, dernier tabou télévisuel

La Dre Claire Hamelin (Marie-Thérèse Fortin) de Mémoires vives s’allume un joint en rentrant de l’hôpital de la Rive-Sud ? Bah. Elle est cool, Claire. Elle se relaxe. C’est épuisant, toutes ces battues.

La chanteuse Brigitte Francoeur (Julie Perreault) grille une clope dans L’échappée ? Aïe. Comment ose-t-elle se noircir ainsi les poumons ?

Ce type d’observations antitabac, Julie Perreault en reçoit un paquet (de 25 ?).

« C’est mal vu de fumer à la télé. Ça manque de raffinement. Bien que je sois non-fumeuse, je tiens à garder cette caractéristique pour mon personnage. Brigitte a tenté d’arrêter de fumer, mais j’y reviens toujours parce que les imperfections et les dépendances sont le moteur de mon personnage », me dit la tête d’affiche de L’échappée.

Fumer du cannabis dans une série de fiction ne choque presque plus personne au Québec. Et c’était accepté bien avant le 17 octobre. Pour la cigarette, ça ne passe tout simplement pas.

Dès qu’un personnage sort un paquet de sa poche ou de sa sacoche, vous grimpez dans les rideaux, tel Manuel dans un penthouse de XOXO.

Et les ados influençables qui regardent, hein ? Et la responsabilité du diffuseur dans la promotion de ce geste dangereux pour la santé ?

C’est quand même étonnant de voir qu’une drogue, illégale jusqu’à tout récemment, suscite moins d’opprobre que le tabagisme, qui a longtemps été toléré par la majorité.

Les nombreuses campagnes de sensibilisation ont (heureusement) allumé les Québécois sur les dangers de cette vilaine habitude. La cigarette tue. La cigarette empoisonne votre bébé. La cigarette maganera votre bouche comme celle du clown fâché dans le film It.

Remarquez toutes les contorsions qu’exécute la coiffeuse Maude pour éviter que les caméras d’Occupation double ne la filment la clope au bec. C’est digne d’Alegría du Cirque du Soleil.

Lundi soir dans Demain des hommes, j’ai moi-même sursauté en voyant Yvon (Alexis Martin) fumer à l’intérieur de son bungalow. Voyons donc ! Qui fait encore ça au Québec, boucaner ailleurs que dehors ? La notaire Andrée (Dominique Quesnel) enfilait les cigarettes sous la hotte du poêle dans Mémoires vives et systématiquement, des téléspectateurs s’indignaient de cette pratique nocive.

L’auteure de Mémoires vives, Chantal Cadieux, a reçu plusieurs messages au sujet d’Andrée et du maniaque Jérémie Gendron (Pier-Luc Funk), les deux vrais fumeurs de son ancien téléroman.

« On me parlait des cigarettes d’Andrée et de Jérémie, mais je n’ai jamais reçu le moindre commentaire sur les petites puffs de joint de Claire ! En fait, on me disait que ça devait aider Claire à se détendre, car elle avait énormément de responsabilités », se souvient Chantal Cadieux.

Pourquoi le joint à la télé n’enflamme-t-il plus personne, tandis que la cigarette provoque des réactions incendiaires ?

« Tu peux justifier beaucoup plus facilement qu’un personnage fume un joint qu’une cigarette. Je pense que c’est parce qu’on peut encore associer le plaisir à la drogue, même si ce n’est pas politiquement correct, alors que le plaisir de fumer du tabac a été complètement évacué. Un personnage qui fume la cigarette est plus transgressif qu’un personnage qui fume du pot », explique le scénariste Jacques Davidts (Les Parent, Polytechnique).

Jacques Davidts se souvient d’une période où Natalie (Anne Dorval) avait recommencé à fumer la cigarette dans Les Parent. Uh-oh. Les fans de la comédie n’avaient pas du tout apprécié.

Richard Blaimert, le scénariste de Nouvelle adresse et d’Hubert et Fanny, pense comme Jacques Davidts. « Oui, si tu veux exprimer un moment de détente pour un personnage en 2018, le joint est certainement plus naturel. La cigarette est perçue comme une mauvaise habitude, une dépendance quotidienne », analyse-t-il.

Dans Lâcher prise, Madeleine (Sylvie Léonard) et sa fille Valérie (Sophie Cadieux) ont partagé un joint. Zéro réaction du public. Mais dès qu’une cigarette se consume à l’écran, ça râle dans les chaumières.

« Probablement que ça va avec l’air du temps et dans le sens de toute la prohibition qui entoure la cigarette. »

— Isabelle Langlois, créatrice de Lâcher prise

Autre dossier brûlant à analyser prochainement : le vin au petit écran. « L’alcool se boit à profusion et sans complexe dans notre télé », note Isabelle Langlois.

Le ressac s’en vient, par contre. Je ne compte plus le nombre de courriels qui déplorent l’omniprésence des verres de vino dans à peu près toutes les émissions.

Avant, on se relaxait en tirant sur une « bonne cigarette ». Aujourd’hui, on décompresse avec un « bon verre de vin » ou un gros joint.

Autre époque, autre vice (pas caché).

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