Opinion Pénurie de main-d’œuvre 

Des travailleurs migrants temporaires à volonté  ?

Réaction aux articles sur les travailleurs migrants temporaires parus dans La Presse et où ce sont surtout les questions de « difficultés liées à l’emploi » et de sécurité qui ont été traitées. Précisions sur le poids de l’action publique.

Plusieurs articles ont été consacrés dans La Presse aux « travailleurs étrangers temporaires » au Québec. Au-delà des explications avancées sur les conditions difficiles de séjour et de travail de ces travailleurs, un acteur majeur manque à l’appel dans ces articles : l’action publique. C’est la logique conjuguant le recours systématisé aux travailleurs migrants temporaires (TMT) par les entreprises avec le soutien actif de l’État qui pose problème.

Si des emplois « difficiles », comme ceux des «  attrapeurs de poulets  », sont confiés à des TMT, c’est parce que leur rémunération est si réduite qu’elle ne trouve pas de candidats sur le marché local de l’emploi. C’est pourquoi le recours accéléré aux TMT s’observe aussi dans la construction qui recrute des plombiers tunisiens dans Lanaudière, les banques et leurs conseillers financiers indiens, en passant par les installateurs d’antennes dans les télécoms et l’agriculture, secteur pionnier, où selon plusieurs enquêtes, la saisonnalité de l’emploi justifie rarement la « pénurie » de main-d’œuvre invoquée.

La plupart des enquêtes montrent que les conditions de travail et de séjour des TMT ne dépendent pas seulement des pratiques de leur employeur juridique ou des entreprises des filières de production et de distribution qui les recrutent, avec la bienveillante flexibilité de l’État. Ce n’est pas non plus parce que les organisations syndicales ne jouent pas le rôle qui leur revient, car c’est faire abstraction du muselage juridique grâce auquel l’action syndicale a été neutralisée précisément en matière de TMT. Et pour cause.

Ces conditions sont juridiquement construites et administrativement balisées par des dispositifs ad hoc de l’action publique : les politiques fédérales encadrant le recours aux travailleurs étrangers et la loi 8 modifiant le Code du travail du Québec.

1) Hormis quelques mesures mineures, le gouvernement Trudeau a maintenu le Programme de travailleurs étrangers temporaires (PTET), avec ses emplois dits peu rémunérés, et le Programme de mobilité internationale (PMI) qui encadre les emplois à rémunération élevée pour la main-d’œuvre hautement qualifiée destinée aux entreprises, avec possibilité d’accès à la résidence permanente. Cette politique se fonde sur le salaire médian comme référence pour distinguer les deux programmes. C’est dans le second par exemple que se retrouve l’élite des salariés des entreprises d’informatique du Mile End et multimédia du Vieux-Montréal.

Le PTET obéit aux trois principes sacro-saints recommandés par l’Organisation internationale pour les migrations et l’OCDE. La circularité : les TMT doivent rentrer chez eux pour une période « blanche » avant de repostuler ; la temporalité : contrat à durée limitée, sachant que l’emploi est permanent ! Enfin le permis nominatif, au cœur du problème : il subordonne nominativement l’employé à son employeur unique et singularise une relation d’emploi échappant de facto aux règles de notre système de relations industrielles et à la plupart des normes du travail locales. Il verrouille l’accès à la syndicalisation et prive les TMT de nombreux droits sociaux du travail auxquels ont accès les salariés résidents.

2) La loi 8, adoptée en octobre 2014 en écho à la réforme Harper, renforce ces trois principes. Plusieurs recours juridiques avaient alors permis la réussite de certaines tentatives de syndicalisation de TMT. Même si elles ont toutes avorté pour diverses raisons, la loi 8 comble définitivement cette brèche du système, en excluant les exploitations agricoles de moins de trois salariés ordinaires à plein temps du régime des relations du travail et, partant, des droits que celui-ci comporte (cas de nombreuses exploitations dont l’effectif tombe à moins de trois salariés en basse saison). Elle permet, accessoirement, aux salariés de créer des associations pour présenter à leur employeur des observations qu’il doit examiner de bonne foi. La négociation collective est rendue, de facto, ineffective. Aucune convention collective n’a été conclue dans de tels lieux de travail. Selon la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (30 sept 2014), la loi 8 « impose aux travailleuses et travailleurs agricoles une condition spécifique pour accéder à l’ensemble de la protection offerte par le Code du travail, soit celle d’être à l’emploi d’une entreprise comptant au moins trois salariés de façon ordinaire et continue. Les travailleurs saisonniers sont exclus aux fins de ce calcul puisqu’ils ne travaillent pas toute l’année ». C’est pourquoi les organisations syndicales voient leur rôle essentiel juridiquement neutralisé.

Le caractère systémique de ces dispositifs montre toute l’ambivalence de l’État dans l’encadrement des conditions de séjour et de travail des TMT. Faut-il dès lors s’étonner que les entreprises instrumentalisent, en tant qu’employeurs, des dispositions qui leur permettent de bénéficier d’une main-d’œuvre « non-libre », institutionnellement précarisée et à coûts défiant toute concurrence locale ?

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