BANDE DESSINÉE

Le coin BD

Chaque mois, La Presse vous présente une entrevue avec un créateur de BD et des recensions d’albums qui ont retenu notre attention.

Julie Rocheleau

Le burlesque rédempteur

Elle s’est fait connaître grâce à la série Fantômas, qu’elle a créée avec Olivier Bocquet pour la maison Dargaud. La dessinatrice montréalaise Julie Rocheleau continue de jouer dans la cour des grands avec un fabuleux album muet qu’elle vient de publier chez Casterman. La Presse l’a rencontrée dans son quartier, Rosemont.

Julie Rocheleau se souvient du grand vertige qu’elle a ressenti lorsqu’elle a été contactée par Dargaud pour travailler sur la série La colère de Fantômas, basée sur les romans de gare des années 1910, qui mettait en vedette le vilain Fantômas, meurtrier et voleur d’identité.

« On m’avait jumelée au scénariste français Olivier Bocquet, qui en était lui aussi à sa première bédé », se rappelle-t-elle. Deux novices jetés à l’eau… « La première année et demie, on a correspondu par courriel, on a fait le premier tome sans se voir. Je ne savais même pas de quoi il avait l’air ! C’est un album qui a gagné plusieurs prix et qui se vend toujours très bien. »

Au cours de cette collaboration qui s’est étalée sur une période de trois ans, la dessinatrice s’est liée d’amitié avec la copine d’Olivier Bocquet, Vero Cazot, également scénariste. C’est elle qui l’a « embarquée » dans le projet de Betty Boob, qui vient d’être publié chez Casterman. Un album muet minutieusement scénarisé, qui se « lit » avec délectation.

Le point de départ : Élisabeth B. a un cancer du sein, qui se résout (en partie) par une mastectomie. Mais la jeune femme, qui travaille comme vendeuse dans une boutique de luxe, peine à reprendre sa vie là où elle l’a laissée. D’abord, son amoureux ne parvient pas à passer par-dessus sa « condition ». Puis sa patronne, qui remarque le dénivelé de sa poitrine, la congédie.

L’humour qui déstabilise

« J’aime beaucoup l’univers de Vero, nous dit Julie Rocheleau. Au début du projet de Betty Boob, j’étais enthousiaste, mais je ne comprenais pas trop. Parce que c’est une bédé qui parle de choses très tristes et dramatiques, mais avec un humour slapstick burlesque déstabilisant. Il a fallu que je trouve un équilibre entre les deux dans mes dessins. »

On en a pour preuve cette scène hilarante où Betty court après sa perruque qui part au vent – sur plusieurs planches. Du Buster Keaton pur jus !

« Le cancer de Betty est un prétexte, insiste la dessinatrice. C’est une bédé qui nous dit surtout qu’il faut arrêter de s’excuser d’avoir un corps différent. D’arrêter de parler DU corps de la femme. »

« Betty s’est fait enlever un sein, mais elle en fait quelque chose de beau, et elle finit par célébrer ce corps différent. C’est ça, le sujet de Betty Boob. »

Impossible d’y échapper, cette joie de vivre traverse chacune des planches de l’album qu’elle a elle-même colorié.

Le défi de faire une bédé muette était grand, convient Julie Rocheleau. « Vero a eu envie de se lancer là-dedans après avoir vu l’album Un océan d’amour [de Wilfrid Lupano et Grégory Panaccione]. Moi, j’aimais beaucoup cette idée. J’avais fait des films d’animation muets. Quand elle m’a demandé si je voulais faire un album sans dialogues, j’ai dit que oui ! »

Immersion burlesque

La quête de Betty prend tout son sens lorsqu’elle commence à travailler avec des effeuilleuses de la scène burlesque. C’est là qu’elle sera acceptée et qu’elle s’acceptera comme elle est. « C’est vrai que contrairement à ce que les gens pensent, il y a une variété incroyable de corps dans les spectacles burlesques. C’est un milieu très ouvert et inclusif. »

Qu’est-ce qui relève de la réalité ? Qu’est-ce qui relève du rêve ? Le tandem Cazot-Rocheleau a opté pour la ligne brouillée.

« Il y a un univers complètement fou, qui pourrait se passer dans la tête de Betty Boob ou non », nous dit Julie Rocheleau, qui a fait ses débuts en dessin animé et qui s’est aussi inspirée du personnage de Betty Boop dans le cartoon du même nom, qui a fait les beaux jours des années 30. Dans une scène surréaliste, Betty se trouve dans une boutique de prothèses mammaires… qui se fait cambrioler !

« C’est une scène qui est un peu un clin d’œil à Fantômas », nous dit Julie Rocheleau, qui a véritablement trouvé son style en bédé avec cette série. Sa ligne fuyante – « il y a clairement un côté nerveux dans mon dessin », avoue-t-elle – et son découpage cinématographique – sans doute hérité de ses story-boards en cinéma – créent un dessin extrêmement dynamique.

Travail avec La Pastèque

Maintenant que Betty Boob a été lancé – après deux ans de travail ! –, Julie Rocheleau planche sur un nouvel album scénarisé par Sophie Bienvenu (Et au pire, on se mariera), qui sera publié l’an prochain à La Pastèque. Une nouvelle qui se passe à Longueuil et qui traite d’une relation père-fils, nous dit simplement la jeune femme. Il faudra attendre pour en savoir plus…

La dessinatrice en sera à sa deuxième collaboration avec La Pastèque. Il y a deux ans, elle avait adapté le roman de Claude Jasmin La Petite Patrie.

Ce projet avec Sophie Bienvenu l’enthousiasme. « Il y a un beau défi pour adapter cette nouvelle en bédé, tout est nouveau et tout est à faire, nous dit-elle. Mais j’aime beaucoup ses dialogues caustiques et son humour. Je dois encore trouver le style graphique de cet album, mais c’est très emballant, nous dit Julie Rocheleau. Après avoir beaucoup travaillé en France, je suis contente d’embarquer dans ce projet 100 % québécois. »

Le cancer à hauteur d’ado

Une histoire de cancer qui finit bien
India Desjardins et Marianne Ferrer
La Pastèque
88 pages
Trois étoiles et demie

Je me souviens d’avoir appris un jour que le film culte de Steven Spielberg E.T. avait été filmé à hauteur d’enfant. Un changement de perspective important puisque c’est le regard de l’enfant qui primait, le monde adulte étant filmé en contre-plongée. C’est l’impression qu’on a en lisant ce très beau récit d’India Desjardins (Le journal d’Aurélie Laflamme), illustré par Marianne Ferrer. Une histoire de leucémie racontée par une jeune fille de 15 ans qui attend de savoir si elle sera finalement condamnée ou graciée par la maladie. Avec des dessins étirés ou déformés – qui évoquent le surréalisme de la maladie. Le titre annonce une fin heureuse, ce qui ne nous empêche pas d’apprécier le cheminement de cette enfant qui réfléchit à voix haute sur ce qu’elle a vécu depuis cinq ans. De son point de vue. Un récit attendrissant, sur fond d’une première rencontre amoureuse, confiée à India Desjardins par une jeune fille porteuse d’espoir.

Bédé burlesque

Le meilleur ami de l’homme
Tronchet et Nicoby
Aire libre (Dupuis)
141 pages
Trois étoiles et demie

Une comédie dramatique française dans un style et un format de bédé américaine, c’est l’impression que nous donne ce Meilleur ami de l’homme, dont la grande force réside dans le scénario. Vincent Renard mène une vie parfaite. En apparence. Car petit à petit, le vernis de ce médecin (proctologue) coureur de jupons va se fissurer… Sa vie familiale compliquée (sa femme veut le quitter tout en maintenant les apparences) se compliquera encore davantage lorsqu’un ancien camarade de classe et ex-coéquipier de foot, Kevin Delafosse, refera surface. Tronchet nous plonge dans le passé de Vincent, de sa relation difficile avec Delafosse, un raté sympathique (devenu tatoueur), qui rêve de vivre la vie de Vincent. Le tandem Tronchet-Nicoby nous dévoile aussi l’amour de jeunesse des deux hommes (Cécile), disparue du jour au lendemain. Tronchet y va d’un récit parfaitement rythmé, parfois un peu alambiqué, mais très divertissant, qui n’est pas loin de l’univers burlesque de Dany Boon.

Journal intime illustré

Moi aussi je voulais l’emporter
Julie Delporte
Pow Pow
252 pages
Trois étoiles

Les ovnis en bédé sont toujours les bienvenus. C’est le cas de ce livre de Julie Delporte, à la fois journal intime, carnet de croquis et recueil de réflexions, qui s’intéresse à la parole des femmes. Julie Delporte commence par nous raconter son voyage à Helsinki où elle s’est installée en  2014 pour écrire un documentaire sur la vie et l’œuvre de l’auteure et bédéiste finlandaise Tove Jansson. « Tove a eu bon nombre d’amants avant d’aimer aussi des femmes, note-t-elle. Elle n’a pas voulu d’enfants par peur de ne plus pouvoir peindre. » À cette biographie de l’artiste se greffent les pensées de Julie Delporte, qui puise dans ses souvenirs de jeunesse, parfois violents. « Souvent, je regarde mon arbre généalogique en me demandant : lesquelles de ces femmes ont été violées ? » Oui, on a parfois l’impression gênante de lire un journal intime – avec des sous-entendus qui nous échappent –, mais dans l’ensemble, on a accès à la parole de femme à la fois pertinente et sincère.

Ketchup supplante Corto

Red Ketchup, Élixir X
Godbout, Fournier
La Pastèque
48  pages 
Trois étoiles

Faisons ici d’une pierre deux coups. Nous voulions vous parler du nouveau Corto Maltese (deuxième de la série relancée par Juan Diaz Canales et Ruben Pellejero l’an dernier) et du nouveau Red Ketchup. La vérité est que le deuxième opus du duo espagnol est hyper décevant, et le scénario tarabiscoté, incompréhensible. Attardons-nous plutôt à ce bon vieux Red Ketchup, increvable héros de Réal Godbout, qui nous revient dans une aventure vraiment divertissante (Élixir X) dont les premières planches ont été publiées il y a 20 ans dans le magazine Croc. Une histoire interrompue par la fermeture du magazine que les créateurs ont décidé de terminer. Notre agent doit protéger sa sœur Sally qui vient de publier un livre sur l’ésotérisme et dont la tête a été mise à prix. De son côté, le Dr Künt, toujours en quête d’immortalité, a mis au point un élixir rajeunissant qui n’est pas sans effets secondaires. Un album d’action comme on les aime. Avec une suite, assurément.

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