Catholicisme

Qui veut s’en prendre au pape François ?

Le pape fait face à une vive opposition de la part des conservateurs catholiques, mais aussi du milieu de la finance, des islamistes et de la mafia, selon deux récents livres. La Presse a rencontré le journaliste suisse Arnaud Bédat, auteur de François seul contre tous, lors de son passage à Montréal, et s’est entretenue au téléphone cet hiver avec le vaticaniste romain Nello Scavo, auteur des Ennemis du pape.

Quelles sont les menaces auxquelles fait face François ?

Arnaud Bédat : Il y a eu un complot terroriste très réel aux Philippines et il y aura certainement des tentatives de la part des islamistes, qui n’aiment pas les déclarations de François voulant que l’islam soit compatible avec la démocratie. Ils préféraient Benoît XVI, qui a écrit [en 2004 dans son livre Foi, vérité, tolérance] que l’islam n’admet pas de « séparation entre les sphères politique et religieuse », contrairement au christianisme. Au sein de l’Église, personne évidemment ne complote son assassinat, mais beaucoup de conservateurs aimeraient qu’il insiste davantage sur les interdits moraux et résistent à l’abolition de leurs privilèges, leurs grands appartements, la pompe.

Nello Scavo : Je pense qu’on limite trop à l’Église l’opposition à François. Oui, des cardinaux lui résistent, mais il y a beaucoup plus grave : les islamistes, les grands banquiers, les élites qui contrôlent le monde, les criminels tentent activement de le discréditer, ou pire. Même les anarchistes de gauche sont contre lui, parce qu’il monopolise le discours sur la justice sociale d’une manière qui ne leur plaît pas, en insistant sur la nécessité de travailler et sur la responsabilité de l’individu envers la société.

Est-ce que les différents critiques du pape coordonnent leurs actions ?

AB : Au sein de l’Église, certainement. On l’a vu avec la publication cet automne par quatre prélats, dont deux cardinaux, d’une lettre demandant à François de déclarer clairement que l’Église n’approuve ni l’homosexualité ni le divorce, puis cet hiver la publication anonyme d’autres critiques sous forme d’affiches dans Rome et un faux numéro de L’Osservatore romano [quotidien du Vatican]. Mais je pense qu’on exagère l’hostilité du secteur financier, qui émet simplement ses opinions et a certainement peu de contacts avec la hiérarchie de l’Église.

NS : C’est une association très lâche, avec des contacts épisodiques. Les ennemis de François n’ont rien en commun, hormis la haine qu’ils nourrissent à son endroit. Mais je pense qu’elle est assez forte pour avoir suscité des discussions çà et là entre les élites bancaires, la mafia, l’American Enterprise Institute, qui contrôle la politique américaine, et les trafiquants d’hommes des Balkans.

En quoi François diffère-t-il de ses prédécesseurs Benoît XVI et Jean-Paul II ?

AB : Sur le plan du dogme, il n’y a pas de changement. Sous le pontificat de Jean-Paul II, Joseph Ratzinger [futur Benoît XVI] avait promulgué un catéchisme qui reconnaissait les « dons et qualités » des homosexuels. Tous parlent de l’importance de l’accueil. Il y a une certaine naïveté chez les médias qui ne voient pas que François dit les mêmes choses avec d’autres mots. Mais la rhétorique, l’image forte d’un pape qui lave les pieds des prisonniers, c’est important dans le monde moderne. Cela dit, François semble plus déterminé dans la tentative amorcée sous son prédécesseur de limiter les privilèges des dirigeants au Vatican. Et selon moi, il va permettre l’accession à la prêtrise des hommes mariés qui ne vivent plus avec leur épouse ou qui sont veufs.

NS : François a exactement les mêmes combats que Benoît XVI et Jean-Paul II, mais avec des mots beaucoup plus forts. Jean-Paul II avait compris l’importance de la communication, mais François porte la modernisation de la façon d’évangéliser le monde à un autre niveau, beaucoup plus sophistiqué.

Quelle est la position exacte de François sur l’homosexualité et le divorce ?

AB : Il n’y aura pas de mariage homosexuel catholique. Il n’adhère pas du tout aux objectifs des groupes LGBT occidentaux et dénonce souvent la volonté de considérer que le genre est différent du sexe d’une personne à sa naissance comme une forme de colonialisme imposé aux pays pauvres. Il veut que l’Église accueille les homosexuels au lieu de les condamner. Pour ce qui est de la communion aux divorcés, il a, en Argentine, baptisé des enfants de couples remariés et a même célébré des mariages. Mais il s’agit généralement de femmes abandonnées par leur mari pour qui il est important d’avoir un père pour leurs enfants, situation qu’on voit souvent dans les pays pauvres. Je ne pense pas qu’il aurait beaucoup de patience avec les divorces comme on en voit chez nous.

François dénonce le système financier et le manque de soutien aux démunis, mais parle souvent de la « dignité dans le travail » et a attaqué les gouvernements des Kirschner en Argentine, qui se présentaient comme des hérauts de la gauche. N’est-ce pas une contradiction ?

AB : François s’intéresse aux démunis, aux laissés-pour-compte, à ceux qui n’ont rien, pas à la classe moyenne qui veut prendre sa retraite à 62 ans plutôt que 65, qui veut avoir plus de semaines de congé, qui ne veut pas avoir trop de pression pour recommencer à travailler quand elle est au chômage. Il s’intéresse par exemple beaucoup aux stages professionnels de la Suisse. Il parle aussi des embauches qui doivent se faire selon les compétences, pas par favoritisme. On peut penser qu’il ne tient pas aux règles d’embauche selon l’ancienneté non plus.

Ils s’opposent au pape

Raymond Burke

Cardinal américain, responsable du tribunal suprême du Vatican jusqu’en 2014, il est l’un des signataires d’une lettre très critique à l’endroit de François, rendue publique l’automne dernier. Il a aussi eu plusieurs contacts avec Stephen Bannon, le conseiller de Donald Trump.

Carlo Caffara

Ancien archevêque de Bologne, il s’oppose publiquement aux politiciens appuyant le mariage entre conjoints du même sexe et est l’un des signataires de la lettre de l’automne dernier.

Wilfrid Napier

Cardinal sud-africain, il affirme sur toutes les tribunes que l’ouverture de François envers les homosexuels et les divorcés minent la réputation de l’Église en Afrique.

Stanislaw Gadecki

Cet ancien favori de Jean-Paul II n’a pas été nommé cardinal par ses successeurs, à son grand dam, et a affirmé que François « s’éloign[ait] de l’héritage de Jean-Paul II ».

Horacio Verbitsky

Ce journaliste argentin, qui a collaboré tant avec la dictature qu’avec les terroristes des Montoneros, a lancé la rumeur voulant que Jorge Bergoglio, futur pape François, ait livré aux militaires argentins deux jésuites contestataires durant la dictature, à la fin des années 70. Selon Arnaud Bédat, il a manipulé une citation pour appuyer sa théorie.

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