À votre tour

Le jour où presque aucun des camarades de mon fils n’est venu à son anniversaire

« À cause du préavis très court, nous avons le regret de devoir décliner votre invitation à la fête d’anniversaire de votre fils. » Ce mot adressé par la mère d’un élève, je l’ai reçu comme un coup de poing en plein ventre. Une fois de plus.

Voyez-vous, mon fils Casey souffre d’autisme. Depuis des semaines, je m’affairais à planifier son septième anniversaire. J’avais commandé un gâteau, acheté des décorations, envoyé des invitations; même l’herpétarium viendrait présenter des reptiles. Quand notre enfant a des besoins particuliers, on a tendance à en faire plus que nécessaire pour souligner ces petits instants mémorables qui constitueront la trame de leur vie; on cherche à contrebalancer toutes les saloperies qui croiseront tôt ou tard son chemin, contre lesquelles on ne peut rien.

Une sorte de folie des préparatifs s’était emparée de moi; longtemps à l’avance, j’avais rempli des sacs à surprises et fabriqué à la main mes cartes d’invitation. J’étais persuadée que, cette fois, les camarades d’école de Casey se pointeraient le jour dit. Si je m’y prenais suffisamment à l’avance, ils viendraient à coup sûr.

Son anniversaire précédent, le sixième, avait été un désastre. Sur la dizaine de copains que nous avions invités, un seul s’était présenté. La majorité des parents n’avaient même pas daigné répondre à notre invitation. Peu importe, la fête avait eu lieu quand même; la maison était pleine de monde et mon fils fut choyé au-delà de toute attente. Quelques jours auparavant, voyant que mes invitations n’avaient récolté qu’un silence radio, j’avais supposé que personne ne viendrait. C’est pourquoi j’avais décidé de réunir tous nos voisins et amis proches avec leurs enfants; nous avions eu beaucoup de plaisir. Je ne pouvais toutefois m’empêcher d’être triste de constater qu’un seul des copains de Casey était présent – un enfant magnifique, formidable, au grand cœur.

Je me suis juré que cela ne se reproduirait plus jamais.

Un an plus tard, j’ai donc remis ça, en veillant cette fois à m’y prendre amplement à l’avance. La première ronde d’invitations n’ayant suscité aucune réponse, je ne m’avouai pas vaincue pour autant : j’en fis circuler une deuxième. Puis une troisième. On comprendra alors pourquoi le refus invoquant le « préavis très court » m’a estomaquée. Je m’y étais prise très tôt, mais au moment de la troisième ronde, il ne restait en effet que peu de temps avant la fête – comme n’a pas manqué de me le rappeler la signataire du billet.

J’aurais voulu lui dire, en toute sincérité, que cette fois-ci je n’avais rien négligé pour faire les choses comme il faut. Que j’aurais aimé que mon fils, un garçon gentil, timide et sociable, mais qui a d’énormes difficultés à communiquer, puisse accueillir ses camarades chez lui, comme le font tous les enfants.

À l’école, les enfants s’occupent de lui, ils le traitent bien; ils ne l’insultent pas, ne le dénigrent pas. C’est une bonne école, pleine de bons enfants. Les enseignants sont exceptionnels; ils font tout en leur pouvoir pour répondre à ses besoins particuliers et l’intégrer au reste du groupe. La plupart des parents sont probablement des gens bien eux aussi.

Ils ne savent peut-être pas que mon fils souffre d’autisme ; s’ils étaient au courant de ce simple fait, ils auraient peut-être hésité à décliner notre invitation.

Je suppose que mon fils doit simplement leur paraître « étrange », singulier ou excentrique. Cet enfant qui ne regarde pas toujours les gens dans les yeux; qui ne répond pas systématiquement quand on lui parle; qui devient surexcité et bat des mains quand il passe une bonne journée; qui, lorsqu’il s’efforce de communiquer, prononce de longues phrases parfois difficiles à saisir vu l’absence de contexte, toujours lâchées à un moment où on ne s’y attend pas; et qui tend à revenir encore et encore sur ses sujets préférés.

J’ai donc mis le plan B en branle, tout comme l’an dernier. J’ai invité une cargaison de voisins et d’amis avec leurs enfants. Casey s’est senti choyé et entouré comme jamais. Il a eu un bel anniversaire. Et vous savez quoi? Deux de ses camarades de classe se sont pointés, soit une amélioration de 100 % par rapport à la dernière fois.

De plus, j’ai eu une petite révélation : Casey s’en fiche. Tout comme l’an dernier, il était ravi, heureux que notre maison se remplisse de gens de tous âges qui le connaissent et l’aiment pour ce qu’il est, à savoir un être extraordinaire. Je me suis rendu compte que mon fils ne ressentait pas comme moi l’envie de donner une fête « normale », que ce besoin était le mien; et que, dans tout ce qu’il fait, Casey avait sa façon bien à lui de jouir de tout ce que la vie peut lui apporter.

Enfin, j’ai compris que cette « différence dans la façon de faire les choses » allait nous accompagner notre vie durant; qu’il valait mieux que j’apprenne à me délester de quelques vieilles conventions. Je sais maintenant que je me suis rendue coupable, pendant un bref instant, d’aspirer à une certaine « normalité » pour mon fils. Or, vous êtes-vous demandé, comme il m’est arrivé de le faire maintes fois depuis, ce qu’elle a de si formidable, la normalité, après tout?

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