Analyse

Le gouvernement qui décide plus vite que son ombre

Québec — C’était pratiquement son premier point de presse à l’Assemblée nationale. Sa première intervention après une séance officielle du Conseil des ministres. Flanqué de son président du Conseil du trésor, François Legault a annoncé que les augmentations prévues pour les médecins spécialistes seraient gelées, mises en fiducie, le temps que l’entente soit renégociée.

Un départ canon, une retraite dans le désordre. La séquence n’est pas sans rappeler le faux départ de Pauline Marois dès son premier point de presse en septembre 2012. Elle avait promis en campagne d’éliminer la « taxe santé » uniforme de 200 $ par année mise en place par les libéraux, promesse répétée en point de presse.

Or, la réalité allait la rattraper : son gouvernement avait besoin du milliard de dollars que devait générer cette taxe. On décida de la moduler selon le revenu, faisant porter un lourd fardeau aux hauts salariés. Le sous-ministre des Finances, Luc Monty, dut monter au créneau pour empêcher que les mieux nantis, à 130 000 $ et plus par année, soient imposés à des taux dépassant le seuil symbolique des 50 % – impôts fédéral et provincial conjugués. Mme Marois évoqua même la possibilité de taxer ces contribuables rétroactivement, l’année financière étant déjà fort avancée.

La cacophonie, la série d’essais et d’erreurs sur l’application de cette taxe santé aura terni dès le début l’image du gouvernement Marois. Ironiquement, ce sont les libéraux, qui l’avaient instaurée, qui la firent disparaître.

Pour François Legault aussi, l’annonce sur les médecins spécialistes faisait écho à des engagements maintes fois répétés en campagne électorale. Comme candidat, le chef de la Coalition avenir Québec (CAQ) soulignait que les augmentations accordées aux 10 000 médecins spécialistes par le gouvernement Couillard étaient injustifiables. Une fois élue, la CAQ se faisait fort de ramener des 400 000 $ actuels à 320 000 $ par année le salaire moyen des spécialistes.

La semaine dernière, M. Legault a été incapable de préciser les sommes qui seraient « gelées ». Durant la campagne, son parti estimait pourtant les hausses à 192 millions pour 2019-2020 et à 289 millions pour 2020-2021. Le soir même, la Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ) soulignait qu’il n’y avait pas de hausses de traitement prévues pour les médecins d’ici 2023. Les sommes ajoutées visaient à couvrir l’augmentation du nombre d’actes – il faut se rappeler que cette entente avait été conclue au moment où l’absence d’anesthésistes dans plusieurs régions embarrassait le gouvernement libéral. La « continuité des services » avait un prix.

Stratégiquement, avec le Dr Roberto Iglesias, la Fédération des médecins spécialistes avait négocié une entente dont la seule hausse tarifaire prévue d’ici 2023 (5,2 %) avait été accordée cet été, donc avant la campagne électorale. Le négociateur du gouvernement était bien sensible aux arguments des spécialistes – sa fille fait partie de la FMSQ et travaille à la même clinique que la présidente Diane Francœur, son gendre est radiologiste.

Cette semaine, c’était un retour de feu pour ce départ canon : on était bien loin de la récupération de 1 milliard promise durant la campagne électorale – une somme, il faut le rappeler, qui n’avait pas été inscrite dans le plan financier de la CAQ.

S’intéressant depuis longtemps aux enjeux de santé, le président du Conseil du trésor, Christian Dubé, s’était vu confier le mandat délicat de négocier avec les médecins. Son constat, qualifié de « candide » dans l’entourage de M. Legault, était impitoyable pour la stratégie étalée quelques jours plus tôt. On n’imposait pas de gel parce qu’on ne comprenait pas tout à fait l’entente conclue en début d’année. « Avant de parler de gel ou de quoi que ce soit, je le dis : on a besoin de bien comprendre l’entente », soutenait le ministre Dubé.

Hier, en marge d’un point de presse avec le maire de Québec, Régis Labeaume, M. Legault a précisé : « l’entente est mal faite », ne permet pas de distinguer, dans les hausses, ce qui est destiné à la rémunération des médecins et ce qui est destiné aux services supplémentaires. D’ici deux semaines, Québec et la FMSQ devraient avoir terminé la rédaction du mandat pour la réalisation d’une étude de l’Institut canadien d’information sur la santé qui déterminera s’il y a un écart de rémunération entre les médecins du Québec et ceux de l’Ontario.

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