Opinion : Droit animalier et rodéo

Quand le gouvernement parle « des deux côtés de la bouche »

Dans le cadre des festivités entourant le 375e anniversaire de Montréal, la Ville de Montréal convie la population à un « rodéo urbain » qui se tiendra du 24 au 26 août au quai Jacques-Cartier.

Depuis l’annonce de l’événement, de nombreuses voix, dont celle de la SPCA de Montréal, se font entendre avec véhémence pour en réclamer l’annulation. Selon l’organisme, « les épreuves de rodéo soumettent les animaux à un stress et à des souffrances inutiles dans le seul but de divertir ». Partageant cette vision, près de 650 vétérinaires et techniciens en santé animale ont également exprimé leur opposition à l’événement. En date du 22 avril, une campagne de contestation mise en ligne deux jours plus tôt par la SPCA avait déjà recueilli plus de 11 000 appuis de citoyens indignés.

Ces critiques ne sont pas restées sans réponse. Le Festival western de Saint-Tite, à qui l’organisation du rodéo urbain a été confiée par la Ville de Montréal, répète qu’il a le bien-être des animaux à cœur. À preuve, de l’eau et de la nourriture seront mises à leur disposition matin et soir, on les examinera plusieurs fois par jour et on interviendra auprès d’eux en cas de blessure.

Dans sa chronique de vendredi dernier, Mario Girard avoue pour sa part ressentir un certain malaise face à l’action isolée des opposants. Si les rodéos sont si inacceptables, pourquoi avoir attendu tant d’années avant d’agir ? Et pourquoi s’attaquer précisément au rodéo de Montréal ? N’y aurait-il pas derrière cette « soudaine opposition » une certaine forme de snobisme urbain ? Autant de questions qui, selon le chroniqueur de La Presse+, permettent de relativiser les critiques formulées.

Une nouvelle loi qui marque une nouvelle ère

Les interrogations que soulève cette controverse trouvent réponse dans la Loi visant l’amélioration de la situation juridique des animaux (projet de loi 54), adoptée en grande pompe en décembre 2015 par l’ensemble des députés de l’Assemblée nationale du Québec, tous partis confondus. Cette loi a introduit une toute nouvelle définition des animaux dans l’ordre juridique québécois.

Les animaux ne sont plus des biens, on doit désormais les aborder en tant qu’« êtres doués de sensibilité qui ont des impératifs biologiques ».

Les normes dorénavant prescrites en matière de bien-être et de sécurité de l'animal prohibent toute action ou omission susceptible de causer de la détresse aux êtres animaux, sauf en cas de nécessité. L’être animal, écrit le législateur québécois dans le préambule de la nouvelle Loi sur le bien-être et la sécurité de l’animal (Loi « BÊSA »), est devenu une « préoccupation sociétale ». Un énoncé juridique qui se vérifie non seulement chez nous, mais également dans plusieurs pays du monde.

À la lumière de ce nouveau paradigme, n’ont plus leur place les rodéos et autres activités dites récréatives où, de l’aveu même des organisateurs, un vétérinaire doit se tenir prêt à intervenir en tout temps en raison des blessures que pourraient subir les êtres animaux utilisés. Autres temps, autres lois, autres mœurs. Il faut constater qu’un rodéo, peu importe les précautions que l’on prendra et les hauts standards auxquels on acceptera de se soumettre, ne cadre tout simplement plus avec la définition de l’être animal que le Québec s’est donnée en décembre 2015. Il en est par ailleurs de même des courses de cochons graissés organisées en région.

Le législateur ne parle pas pour ne rien dire

Un adage fréquemment cité par les juristes veut que le législateur ne parle pas pour ne rien dire. En d’autres termes, un changement législatif n’est jamais que cosmétique ou insignifiant, à plus forte raison s’il porte sur des valeurs et des principes, comme c’est le cas du renouveau introduit par la Loi visant l’amélioration de la situation juridique des animaux.

Dans cette perspective, le soutien apporté à l’événement par le gouvernement du Québec, lequel avait lui-même présenté, en décembre 2015, la nouvelle définition légale de l’animal comme marquant le début d’un temps nouveau, est pour le moins incompréhensible. Que faut-il en conclure, sinon que le gouvernement actuel parle « des deux côtés de la bouche » ?

Faudra-t-il en venir à se tourner vers les tribunaux pour le placer face à ses propres contradictions ?

Quant aux autorités de la Ville de Montréal et de son comité des fêtes, on se demande encore quelle mouche a bien pu les piquer pour qu’elles s’entêtent à organiser un rodéo… qui n’a strictement rien à voir avec l’héritage historique de la cité.

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