Ricardo et son équipe sont très soucieux de la présence du mot « meilleur » accolé à d’innombrables recettes.
« Le mot “best”, en anglais, ça ne veut plus rien dire », déclare d’entrée de jeu Kareen Grondin, directrice de cuisine chez Ricardo, en entrevue téléphonique.
Depuis 2010, Ricardo emploie le qualificatif pour décrire des recettes comme sa sauce à spaghetti, sa tarte au sirop d’érable, son poulet frit ou son tartare de saumon. Mais le mot « meilleur » n’est jamais utilisé au hasard, affirme Mme Grondin.
Dans tous les cas, elle prépare 10 versions d’une même recette. Elle les soumet à 50 collègues, à Ricardo et à sa conjointe Brigitte. Tous ensemble, ils choisissent la meilleure version. Kareen Grondin ne s’impose aucune restriction. Elle peut opter pour des ingrédients plus chers ou pour des aliments qui se trouvent moins facilement en épicerie. L’objectif, c’est de trouver LA meilleure recette.
« Pour choisir la meilleure recette de crab cakes, on a testé plusieurs sortes d’épices, plusieurs sortes de garnitures et plusieurs sortes de chapelure. On a essayé le panko, la chapelure commerciale, la chapelure maison. Finalement, la recette qui a été la plus populaire, à notre grande surprise, c’est celle qu’on a faite avec des biscuits soda », explique Mme Grondin.
À la base, le mot « meilleur » n’a jamais été utilisé par Ricardo pour attirer des internautes, dit Mme Grondin. Oui, le mot attire du trafic, mais il a beaucoup perdu de sa crédibilité, précise-t-elle.
« Le mot “meilleur” n’a jamais été utilisé pour sortir en premier sur l’internet. Ça n’a jamais été notre souci. Je trouve même que ça a enlevé un peu de panache à nos recettes, parce que le mot “meilleur”, c’est rendu n’importe quoi. »
« Meilleur » pour se distinguer des autres
Devant l’abondance de recettes publiées quotidiennement sur le web, les internautes sont de plus en plus précis quand vient le temps de trouver ce qu’ils cherchent, explique Émilie Poirier, associée chez MixoWeb, une entreprise spécialisée dans l’optimisation des sites de commerce en ligne.
Par exemple, au lieu de chercher simplement « galette à l’avoine », ils écrivent plus souvent « meilleure galette à l’avoine ».
De leur côté, les sites internet ont compris ce changement de comportement. Pour augmenter leurs chances de sortir parmi les premiers résultats de recherche, ils apposent le mot « meilleur » à mille et une recettes.
Les gestionnaires de sites web savent aussi que lorsqu’un internaute tombe sur LA meilleure recette, il a de bonnes chances d’arrêter de naviguer d’une page web à l’autre. Pourquoi aller voir ailleurs quand on détient une version inégalée d’un gâteau au chocolat ?
Un site web a-t-il donc intérêt à titrer « meilleure recette de galettes à l’avoine » au lieu de « galettes à l’avoine » (quatre mots contre deux) ? Ça dépend, nuance tout de même Mme Poirier. « Google comprend que le site de Ricardo, c’est presque seulement des recettes. Par contre, un site qui parle de recettes, de voyages et de trucs pour les enfants a beaucoup plus intérêt à être précis parce que Google ne saura peut-être pas si on parle d’une recette de galette à l’avoine ou d’une astuce pour soigner le rhume. »
Pour déterminer les résultats qui apparaissent en premier (bonjour, Ricardo !), les sites de recherches comme Google, Bing et Yahoo ! se basent sur des algorithmes assez complexes. Ceux-ci analysent les titres des recettes et plusieurs petits détails comme les mots-clés qui se cachent derrière les recettes, les photos et les URL des sites web.
Aussi, plus un site est consulté, plus il a de chances de sortir parmi les premiers résultats.
« Le but de Google, c’est que la personne qui fait une recherche trouve ce qu’elle cherche. Google ne veut pas devenir désuet. Si, quand on cherche quelque chose, on ne trouve jamais, on va finir par aller sur Bing ou ailleurs », dit Émilie Poirier.
Au Québec, les sites de recettes semblent abuser moins souvent du mot « meilleur » par rapport au mot « best » ailleurs dans le monde. Samuel Joubert, du site Le Coup de grâce, a essayé une seule fois d’apposer ce qualificatif à sa recette de sauce à spaghetti. À la suite de la réaction très controversée des internautes, il s’est promis de ne plus jamais utiliser un tel descriptif.
« Vous ne pouvez pas vous imaginer à quel point je me suis fait ramasser. J’ai reçu tellement d’insultes. Depuis cet épisode, j’ai adopté une attitude plus humoristique parce que c’est ça, mon style. Je vais parler d’une sauce à spag de feu ou d’un pâté chinois pimpé, par exemple. »
M. Joubert a bien vu que le mot « meilleur » a explosé sur l’internet. Lui-même se fait prendre au piège quand il cherche une recette. Mais pour ce qui est d’attirer des internautes sur son site en utilisant cette stratégie, on ne l’y reprendra pas de sitôt.