Éditorial

La folie à nu

Assemblée nationale du Québec, 19 février 2015, 10h30. Le chef de l’opposition officielle se lève pour poser la première question de la journée. Le moment est solennel : on saura ce qui, de l’avis du Parti québécois, est le problème le plus pressant auquel devrait s’attaquer le gouvernement du Québec. « Monsieur le président, commence Stéphane Bédard. Comme moi, la plupart des parents du Québec ont été surpris, consternés des possibilités de fouilles à nu dans les écoles du Québec. »

Ainsi, un incident mineur, qui aurait dû se régler localement, est devenu la crise de l’heure, au parlement, sur les chaînes d’information continue et dans les médias sociaux. M. Bédard a exigé l’intervention « immédiate » du premier ministre. Chacun y est allé de son opinion aussi tranchée qu’instantanée. Or, qui sait ce qui s’est passé précisément ?

Selon ce que Le Journal de Québec a rapporté, « une femme tenait une couverture devant Marie, et la directrice prenait les vêtements » pour voir s’ils contenaient de la drogue. Si ce compte rendu est exact, il ne s’agit pas d’une fouille à nu. Au Canada, aux États-Unis, en Angleterre et en France, la fouille à nu consiste en un examen visuel du corps d’une personne. Cela suppose évidemment qu’on le voit.

La Cour suprême du Canada a retenu la définition suivante : « action d’enlever ou de déplacer en totalité ou en partie les vêtements d’une personne afin de permettre l’inspection visuelle de ses parties intimes, à savoir ses organes génitaux externes, ses fesses, ses seins (dans le cas d’une femme) ou ses sous-vêtements. » À l’école Neufchâtel, les deux femmes présentes ne voulaient pas voir et n’ont pas vu le corps de l’élève.

Malheureusement, la faune politico-médiatique n’avait rien à cirer de cette nuance cruciale. « Fouille à nu » est assurément plus aguichant que « examen des sous-vêtements ».

Nos élus, tous partis confondus, aiment prôner une plus grande autonomie pour les écoles. S’ils y croyaient, ils auraient eu la décence de donner le bénéfice du doute à la direction de cet établissement de Québec. Se pourrait-il que celle-ci ait eu de bonnes raisons d’agir ainsi ? Pourquoi l’adolescente a-t-elle été expulsée de l’école, le lendemain de la fouille, trois jours avant que la mère n’appelle Le Journal de Québec ?

On imagine mal que ce cirque ait pu aider la jeune fille concernée. Les politiciens qui ont crié au scandale ne sont-ils pas responsables du vandalisme commis contre l’école Neufchâtel et de la pluie de commentaires haineux qui s’est abattue sur la direction ? S’excuseront-ils ?

Si l’information continue et twitterisée ne nous avait pas tous rendus fous, si tous avaient eu à cœur l’intérêt de l’élève, cette affaire se serait réglée entre la mère et la commission scolaire, pas au bureau du premier ministre et devant les tribunaux.

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