Santé

Le prix des vaccins doit être dévoilé, ordonne un tribunal

Un jeune chercheur sans formation juridique a obtenu gain de cause contre le ministère de la Santé du Québec et un géant pharmaceutique.

Les sociétés pharmaceutiques qui font affaire avec le gouvernement ne pourront plus cacher combien elles encaissent pour lui fournir des vaccins.

C’est ce que vient de décréter la Commission d’accès à l’information (CAI), en rendant une décision « d’un intérêt capital », puisqu’elle ébranle le fonctionnement de l’industrie, affirme un avocat spécialisé dans le domaine, mais n’ayant pas participé à cette cause.

Dans cette affaire, un jeune bioéthicien sans formation juridique a dû affronter seul le ministère de la Santé du Québec et la multinationale GlaxoSmithKline (GSK), fabricant du vaccin Bexsero. Ces derniers affirmaient d’une même voix que le coût d’une vaste campagne de vaccination contre les méningocoques du groupe B était un secret commercial, tout comme le prix unitaire des 120 000 doses achetées.

Certains concurrents auraient pu « tirer avantage » de cette information, généralement connue d’à peine 15 employés sur 1000, plaidait GSK. L’entreprise craignait en prime que « si d’autres clients [comme des hôpitaux universitaires] connaissaient le prix fait au gouvernement, ils pourraient faire réviser leur contrat ».

La juge administrative Linda Desbiens a plutôt donné raison au chercheur Jean-Christophe Bélisle-Pipon, selon qui la transparence « doit s’appliquer en matière d’utilisation de fonds publics ». C’est « la concession à faire pour contracter avec l’État », a-t-elle tranché.

« Cette décision est inusitée et c’est un gros morceau à avaler pour l’industrie. »

— Me Jean-Raphaël Champagne, avocat chez Fasken Martineau DuMoulin, qui représente plusieurs sociétés pharmaceutiques

Le ministère de la Santé a tenu pour acquis que l’information était confidentielle, précise la décision de la CAI. « Ça trahit une logique gouvernementale ; on subordonne tacitement les intérêts du Québec à ceux du fabricant », dénonce l’ancien professeur de M. Bélisle-Pipon, Bryn Williams-Jones, qui enseigne à l’École de santé publique de l’Université de Montréal.

« Qu’ont-ils à cacher ? »

L’affaire a commencé il y a presque trois ans, quand l’équipe de MM. Belisle-Pipon et Williams-Jones a voulu analyser le bien-fondé d’une campagne de vaccination lancée au Saguenay-Lac-Saint-Jean en mai 2014, cinq mois après l’approbation du Bexsero au Canada.

Les jeunes de la région étaient alors particulièrement touchés par les méningocoques du groupe B, susceptibles de causer des infections mortelles. Mais rien ne garantissait que le nouveau vaccin de GSK aurait un effet majeur, puisqu’il ne contenait pas la souche de bactéries prédominante au Québec (voir ci-contre).

« Dans un contexte de budget limité, il est possible de conclure que certaines interventions sont moins prioritaires, surtout si elles coûtent cher compte tenu de leur efficacité limitée », souligne le professeur Williams-Jones.

Pour prouver que la campagne en valait la peine, le Ministère devait divulguer toute l’information ayant motivé sa décision, dit M. Williams-Jones, surpris de s’être buté à un « refus total », qu’il qualifie de « perturbant ».

« Ça crée un doute inutile au sujet des motivations et des intérêts défendus par le gouvernement. Si c’est un bon projet, qu’ont-ils à cacher ? Répondait-on vraiment à un besoin de santé, ou servait-on d’abord des intérêts économiques ? »

— Bryn Williams-Jones, directeur des programmes de bioéthique à l’Université de Montréal

« Faute de pouvoir comprendre la décision, on peut se demander s’il s’agissait réellement d’une campagne de santé publique, ou si on n’a pas plutôt laissé la compagnie faire un essai clinique post-commercialisation, sans toutes les évaluations éthiques requises. »

En appel ?

La Commission d’accès à l’information a ordonné au ministère de la Santé de révéler le prix du vaccin Bexsero dans les 30 jours suivant la réception de sa décision, rendue le 13 mars. Cela n’a pas encore été fait, à la connaissance de M. Williams-Jones.

Le délai accordé pour porter la décision en appel à la Cour du Québec expirera sous peu. Chacun de leur côté, le ministère et GSK ont écrit à La Presse qu’ils en avaient pris connaissance et étaient « en train d’évaluer les suites à y donner » (dans le cas du Ministère) ou de « déterminer les prochaines étapes » (dans le cas de GSK).

« Quand on doit utiliser des tribunaux pour forcer le gouvernement à agir, ça renforce le scepticisme face aux motivations des décideurs, les peurs totalement exagérées contre les vaccins et le désengagement des structures démocratiques, prévient le bioéthicien. La meilleure façon d’inspirer confiance, c’est d’être transparent. »

Le gouvernement a d’énormes progrès à faire de ce côté, estime Pierre Trudel, professeur titulaire au Centre de recherche en droit public de la faculté de droit de l’Université de Montréal. « Dans plusieurs domaines, les organismes publics continuent de tout faire pour ne pas donner de renseignements, sauf ceux qui n’ont aucun intérêt ! C’est un problème généralisé. »

Les infections et le vaccin en bref

Les ravages des méningocoques B

Depuis que tous les bébés québécois sont vaccinés contre les méningocoques du groupe C, ce sont ceux du groupe B qui causent le plus d’infections invasives à méningocoque. Une maladie qui demeure rare, mais dont les conséquences sont souvent tragiques.

Environ 5 à 10 % des gens sont porteurs de méningocoques B dans la gorge.

Chez environ 1 porteur sur 400, la bactérie s’infiltre dans le sang, provoquant une grave infection sanguine ou une infection des enveloppes du cerveau, la méningite.

En pareils cas, environ 5 % des victimes risquent la mort, et 20 à 30 % peuvent garder des séquelles majeures (retard mental, surdité, amputation).

Sources : Société canadienne de pédiatrie, ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec, Institut national de la santé publique du Québec

L’efficacité du Bexsero

En 2014, la Société canadienne de pédiatrie écrivait qu’« il faudra[it] des années avant de déterminer l’efficacité du [Bexsero] ». D’une part parce que les infections invasives à méningocoque sont rares, ce qui rend l’impact de la vaccination difficile à évaluer à court terme.

D’autre part parce que les vaccins sont composés d’une ou plusieurs variantes génétiques d’une bactérie (afin de stimuler la protection d’anticorps permettant de lutter contre ces variantes). Lorsqu’une population est plutôt exposée à des souches différentes, le vaccin risque d’être moins efficace. Ce qui pourrait être le cas du Bexsero au Québec

Le ministère de la Santé a donc opté pour des campagnes de vaccination régionales en cas d’éclosions, plutôt que d’intégrer le Bexsero au calendrier vaccinal régulier.

Les risques du Bexsero

Après la campagne du Saguenay-Lac-Saint-Jean, l’Institut national de la santé publique (INSPQ) a publié un rapport de surveillance. Il y révèle que quatre petits ont été atteints d’une maladie rénale après avoir reçu le vaccin Bexsero. Chez trois d’entre eux, les lésions subies étaient légères.

L’INSPQ estime que « l’identification de quatre cas est un signal préoccupant étant donné la rareté du syndrome néphrotique ». Mais il ajoute qu’il faudra plus de données pour savoir s’il s’agit d’un hasard ou si le vaccin a causé la maladie.

Utiliser le Bexsero resterait quand même « justifié » lors d’éclosions ou de forte incidence de cas de méningocoque de type B, écrit-il, « en raison du haut taux de mortalité et des graves séquelles causées par ces infections ».

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