CHRONIQUE

Jacynthe et les scientifiques

La semaine dernière est paru Délices Détox, le deuxième livre de recettes et de conseils de vie de Jacynthe René.

Cette maman de deux garçons, enceinte d’un troisième, qui a plus fait parler d’elle au cours des dernières années par sa promotion d’habitudes de vie alternatives que par son œuvre comme comédienne, y fait la promotion d’une alimentation qu’elle croit « détox ».

Rapidement, en parcourant les pages et en l’écoutant, on comprend qu’elle embrasse le mouvement visant à débarrasser notre alimentation de tout gluten, qu’elle n’a pas grand-chose de positif à dire sur le sucre, le lait, la viande et compagnie, que c’est le genre de personne qui fait ses biscuits au chocolat avec de la caroube et du chia moulu et que ce n’est pas une adepte des notes bibliographiques.

Son premier ouvrage, Vive la détox gourmande, s’est vendu à 27 000 exemplaires. Elle pilote en outre la publication Jmagazine, vend des produits de beauté naturels. Et elle a fondé une école primaire à Delson en plus d’être une fervente adepte de la permaculture.

On dit d’elle, parfois, que c’est la Gwyneth Paltrow du Québec.

Intriguée par certaines des affirmations contenues dans le livre de 238 pages – on y explique que boire du jus de citron permet de lutter contre les cernes ou que l’huile essentielle de rose a une fréquence de 320 mégahertz, par exemple –, j’ai décidé de demander des explications directement à l’auteure et d’aller chercher l’avis de quelques scientifiques, médecins et nutritionnistes.

Voici ce qu’ils m’ont répondu.

MICHEL LUCAS NUTRITIONNISTE ET ÉPIDÉMIOLOGISTE À L’UNIVERSITÉ LAVAL

« Je suis un peu tanné de voir des livres comme ça », répond d’entrée de jeu le nutritionniste. Ce qui l’agace le plus ? Ce qu’il appelle le « réductionnisme nutritionnel », où l’on propose des solutions beaucoup trop simples, à l’emporte-pièce – retirer le gluten ici, ajouter une graine ou un petit fruit par là – à des problèmes alimentaires et habitudes de vie hautement complexes. Selon lui, les vraies solutions pour amener les gens à manger plus sainement passent autant par des changements radicaux dans la production d’aliments – il y a trop de sucre partout dans les produits industriels – que dans la distribution et la vente.

« Les prix à la consommation des fruits et légumes ne cessent d’augmenter », note Michel Lucas, alors que les produits industriels restent stables, et donc beaucoup plus accessibles.

Selon lui, en plus de mettre les lecteurs sur de « mauvaises pistes » en faisant des affirmations « farfelues », de tels ouvrages n’aident pas réellement les lecteurs à adopter de meilleures habitudes de vie, car les changements qu’ils proposent ne sont pas assez liés au plaisir. Selon M. Lucas, on ne peut pas prendre un nouveau pli si on cherche à l’ancrer dans des principes – surtout s’ils ne sont pas appuyés par la science, en plus – plutôt que fondamentalement dans le goût. Mangeons des légumes parce que c’est bon. Pas parce qu’il le faut.

MARTIN JUNEAU CARDIOLOGUE, DIRECTEUR DE LA PRÉVENTION À L’INSTITUT DE CARDIOLOGIE DE MONTRÉAL

« C’est plein d’affirmations un peu mélangées, il y a du vrai et du faux », dit le médecin, qui ne croit pas, cependant, que cela soit bien néfaste pour ceux qui lisent le livre. Il y a actuellement des régimes à la mode, très gras ou très protéinés, que certains de ses patients tiennent à suivre et qui l’inquiètent beaucoup plus, car ils augmentent carrément leur tension artérielle.

« Dans ce cas-ci, quand on parle d’arrêter le gluten, par exemple, c’est un paquet de trouble, mais ce n’est pas dangereux. »

Et puis le médecin dit avoir changé sa position sur ces questions. Il ne rejette plus comme avant, d’un revers de main, les affirmations non conventionnelles.

Il est vrai, dit-il, que certains patients tolèrent mal les produits laitiers. Et il y a « un peu de vrai » dans le fait qu’au-delà des 1 % de personnes atteintes de la maladie cœliaque qui ne peuvent pas du tout consommer de gluten, il y a effectivement un petit pourcentage de gens qui ont de la difficulté à le digérer. Et les recherches de pointe sur le microbiome – l’univers de microbes, bactéries et compagnie qui vivent dans nos corps – ouvrent des pistes vers une compréhension beaucoup plus subtile et complexe de notre relation avec les aliments, note-t-il. Cela dit, le médecin rappelle qu’aucune recherche n’a encore prouvé l’existence d’aliments magiques. Même les oméga-3 ne le sont pas, « malheureusement ».

ALAIN VADEBONCOEUR URGENTOLOGUE À L’INSTITUT DE CARDIOLOGIE DE MONTRÉAL

« Amalgame invraisemblable… Farfelu… C’est de la poésie, dit l’urgentologue. En fait, c’est assez amusant. » Il est clair, ajoute-t-il, qu’il ne faut pas prendre les affirmations du livre au sérieux. Cela dit, le médecin ne s’inquiète pas outre mesure des conséquences d’une telle publication. « Cela ne met pas grand monde en danger. » L’important, précise-t-il, c’est que personne n’abandonne de traitement médical en se fiant aux prétentions du livre. La mise de côté totale de certains aliments doit aussi être évitée, ajoute le médecin.

Pour lui, comme pour tous les scientifiques consultés, ce qui est étonnant, c’est la recherche de solutions miracles dites naturelles à des problèmes qui ont déjà des solutions naturelles très simples. Si on a des cernes, par exemple, « c’est parce qu’on est fatigués ! ». Pourquoi suggérer aux lecteurs de boire des infusions d’ortie ou de racines de pissenlit et pas simplement leur rappeler que la qualité du sommeil et de bonnes habitudes de vie sont plutôt les meilleurs remèdes contre les cernes ? demande le médecin.

BERNARD LAVALLÉE NUTRITIONNISTE AU CENTRE EXTENSO DE L’UNIVERSITÉ DE MONTRÉAL

« C’est assez drôle à lire, dit-il. Comment faire pour réfuter, par où commencer, quand la majorité de ce qui est écrit n’est pas appuyée par la science ? » La science, dit-il, n’a pas réponse à tout, mais elle demeure notre meilleur outil quand on fait des recommandations au public.

Selon lui, il est étonnant que le livre n’ait pas un petit mot au début pour dire aux lecteurs qu’il n’a pas de prétention médicale et pour encourager les gens à aller voir leur médecin en cas de problème de santé sérieux.

« Prenons le gluten, par exemple. Seulement 1 % de la population est atteint de la maladie cœliaque. Il faut aller voir un médecin avant d’éliminer quoi que ce soit. » Le livre parle beaucoup de combinaisons alimentaires ? « Il n’y a absolument rien qui prouve que cela puisse avoir un effet sur la santé. » Les « cellules sales » ? « C’est normal, répond le nutritionniste, le corps a des mécanismes pour éliminer les déchets. »

« Si notre foie ou nos reins ne marchent pas bien, ce n’est pas un jus vert qui va régler ça, il faut aller voir un médecin ! »

L’intérêt du livre, par contre, remarque M. Lavallée, c’est qu’il amène les gens vers de nouveaux ingrédients : grains entiers, légumes et compagnie. « Mais doit-on leur trouver des propriétés magiques pour les aimer ? » Et quand il faut ajouter de la gomme de xanthane dans des biscuits parce qu’on a éliminé le gluten, demande-t-il, a-t-on vraiment progressé ?

GUYLAINE GUEVREMONT NUTRITIONNISTE FONDATRICE DE MUULA

Pour Guylaine Guevremont, ce genre de livre est néfaste, car il parle de « détox », un mot trop souvent utilisé pour faire miroiter la perte de poids rapide. Or, le concept même de « détox » ne veut rien dire, explique-t-elle. Le corps est une combinaison de systèmes, une entité complexe qui veille elle-même sur son ménage interne, qui a tous les mécanismes nécessaires – des reins ! un foie ! des intestins ! – pour trier, filtrer, éliminer ce qu’il faut. Souvent, ce qu’on appelle « détox » est en fait une approche alimentaire articulée autour de concepts dits « santé », mais axée sur la restriction calorique dont le but est essentiellement la perte de poids.

« Or, détoxifier son corps est-il synonyme de perte de poids ? demande Mme Guevremont. Non, car en période de “détox”, le corps est privé de son énergie habituelle. Il se protégera en ralentissant son métabolisme et dépensera moins d’énergie. La perte de poids qui survient est davantage liée à une perte d’eau que de gras. En plus, lorsqu’on reprend une alimentation normale, le corps reste en mode “privation”, car il a à se préparer pour une autre restriction. Il va refaire ses réserves, reprendra ses kilos perdus et ne redémarrera pas le métabolisme à son plein potentiel. »

JACYNTHE RENÉ

« Je suis une autodidacte bien entourée, explique l’auteure. J’ai des scientifiques qui m’entourent et me conseillent et, évidemment, j’ai un parti pris pour eux. »

Selon l’auteure, la « vérité scientifique » n’est pas une fin. « Plusieurs entreprises, telles les compagnies de tabac ou de pesticides chimiques, tentent de nous convaincre, par un paquet d’études plus véridiques les unes que les autres, que leurs produits sont tout à fait inoffensifs pour la santé, dit-elle. J’ai un parti pris, je ne le cache pas : je crois davantage au naturel, à une alimentation nutritive et digeste et à des habitudes vivifiantes (et au réconfort en ce qui concerne nos enfants). »

L’important, dit-elle, c’est ceci : « Ce que je propose dans mon livre est sans aucun danger (contrairement à certains autres produits qui nous sont proposés…). Voilà mon école de pensée. Ce qui distingue mon approche est qu’elle est simple et sans effet secondaire (autre que le bien-être amélioré) ! »

« Le fait de suivre des inspirations de mes livres ne peut pas entraîner de danger : je propose des solutions saines et logiques. »

— Jacynthe René

« Exemple : on coupe le gluten et l’indigeste pour ne pas ballonner : des centaines de témoignages me disent que j’ai bien fait de le proposer contre zéro qui n’aurait pas gagné en vivacité et en bien-être. »

Voilà qui est suffisant, croit l’auteure.

« Autre exemple : les cernes. “Jacynthe, que prendre pour ne plus avoir de cernes ?”, me demande-t-on. Selon l’expérience des professionnels dans le domaine esthétique en qui j’ai confiance, plusieurs aspects sont impliqués : le foie, les reins, la mauvaise oxygénation du sang (pas de ce qu’on met sur notre peau). En publiant leurs “conseils”, les femmes étaient ravies, car plusieurs cherchaient des solutions depuis longtemps… Et boire du pissenlit ne peut nuire d’aucune façon à leur santé ! Au contraire, elles ont vu leurs cernes disparaître. J’offre des avenues gros bons sens, simples, accessibles et santé ! […] Pire scénario : on revient à notre style de vie ! »

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