Opinion  Kim Kardashian

Les véritables imbéciles

La volonté des gens ordinaires de consommer une culture abrutissante explique le succès et la richesse de Kim Kardashian

Dimanche dernier, Luc Boulanger écrivait un éditorial sur Kim Kardashian et son talent indéniable pour « se vendre en ne faisant rien ». Une semaine plus tard, le sujet décante encore dans la tête.

Dans l’article, la cause inhérente de son succès n’était pas mentionnée : la volonté des gens ordinaires comme vous et moi de consommer une culture délibérément abrutissante. Si le talent de Kim K est de se vendre en respirant de l’air comme le commun des mortels, le nôtre est de consommer malgré nous des choses d’une vacuité incroyable et ce faisant, de commettre cette folie qu’est la perpétuation du cycle de la médiocrité culturelle.

Le virus Zika et Ebola ont fait couler beaucoup d’encre, mais s’il y a une épidémie à surveiller, c’est bien la crétinisation de masse demandée par la masse elle-même. Qui d’entre nous ne s’est jamais arrêté quelques minutes à la caisse d’une pharmacie pour feuilleter un magazine à potins, en se désolant de l’existence même d’une publication au contenu si peu pertinent ? Pourtant, ces magazines doivent bien être viables économiquement, à en juger par leur nombre. Même si nous n’en achetons pas nous-mêmes, force est de se demander, qui donc les achètent ? Et là réside le problème.

Kim Kardashian a fait la couverture du magazine américain Forbes parce qu’elle a généré 51 millions US au cours des douze derniers mois. Cependant, cet argent n’est pas tombé des cieux. 

Bon nombre d’entre nous, moi compris, finançons sa vie somptueuse sans même nous en rendre compte. Même si je n’ai jamais acheté le lipgloss de Kylie ou téléchargé l’application de Kim, juste le fait de les suivre sur les réseaux sociaux a contribué à la promotion d’une famille reconnue pour être dénuée de talent. Imaginez l’absurdité de les voir sur Instagram en train de publier des placements de produits évidents, comme s’ils avaient vraiment besoin d’une plus grande fortune. Mais pire, imaginez le désarroi intérieur quand on réalise que, finalement, nous sommes individuellement à blâmer aussi. Ce que je considérais comme une peccadille s’avère être moins excusable quand je me penche un peu plus sur le sujet.

SUIVRE OU NE PAS SUIVRE ?

Si ces magazines et ces personnes sont encore sous les projecteurs, ça veut dire qu’il y a une clientèle qui continue de les propulser. Si ces gens continuent de faire du placement de produits sur les réseaux sociaux, ça veut dire qu’il y a un public considérable à leurs pieds. La simple action de les suivre sur les réseaux sociaux leur donne ce pouvoir d’influence sournois. Ils se nourrissent de notre appétit de spectateurs aux tendances voyeurs, et on collabore silencieusement à leur succès juste en cliquant le bouton « follow ». Nous sommes en symbiose parfaite, après tout : cette moquerie, nous l’avons alors méritée.

Il existe maintenant un « adblock » pour tout ce qui concerne les Kardashians. Ce dispositif à installer dans notre ordinateur filtre tout ce qui contient le mot Kardashian sur internet, dans l’espoir d’éradiquer un peu ce fléau mondial. Les études affirment que les milléniaux (dont je fais partie) ont des buts drastiquement différents des générations précédentes : devenir riches et célèbres, deux choses que la famille Kardashian personnifie mieux que quiconque.

Peut-être que mon action individuelle de ne plus suivre tous les membres de ce clan n’aura pas de grande portée parce qu’un disciple de moins parmi des centaines de millions ne change pas trop la donne. Mais à défaut de pouvoir changer cette dynamique qui caractérise notre époque, la moindre des choses est de s’avouer que cette crétinerie est causée par nous d’abord, et non par les vedettes. Les véritables imbéciles de ce phénomène, c’est nous et non Kim K et Paris Hilton (et leurs équivalents québécois).

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