Duel économique

Mettre fin au monopole, au profit de qui ?

Si l’on en croit ceux qui veulent mettre fin au monopole de la SAQ, la privatisation partielle ou complète de cette entreprise publique dédiée au commerce du vin et des spiritueux donnerait lieu à une saine concurrence entre de nombreuses entreprises, et ce, pour le plus grand bénéfice des amateurs de boissons alcoolisées.

Est-ce bien le cas ? À quoi ressemblerait un Québec où la vente de l’alcool aurait été complètement libéralisée ?

On peut, pour répondre à cette question, se baser sur les résultats d’études récentes qui comparent diverses provinces canadiennes (IRIS, 2015 et 2016 ; Association canadienne des sociétés des alcools, 2015).

On se rend alors compte que la réalité a peu à voir avec les théories défendues par les apôtres du libre marché.

 – Globalement, les prix de l’alcool varieraient peu. D’une part, parce que les entreprises publiques, grâce à leur réseau de distribution, demeurent plus compétitives. Les entreprises privées, pour dégager une marge de profit convenable, proposent quant à elles des prix qui ne sont en moyenne pas beaucoup plus avantageux. D’autre part, parce que les pertes de revenus de l’État seraient compensées par des hausses de taxes sur l’alcool qui gonfleraient le prix des bouteilles.

 – Les prix varieraient d’une région à l’autre et augmenteraient à mesure que l’on s’éloigne des grands centres.

 – La majorité des parts de marché qui iraient au secteur privé serait accaparée par les grandes chaînes d’épiceries ou de dépanneurs, et non par des petits commerces, qui ne feraient office que d’acteurs secondaires dans un tel marché. 

Les quelques commerces spécialisés qui verraient le jour offriraient certainement des produits exclusifs, mais à des prix peu concurrentiels.

De plus, c’est surtout dans les grands centres qu’on trouverait ce type de magasins.

 – La clientèle d’un bon nombre d’entreprises privées ne pourrait plus compter sur les conseils des employés, puisque celles-ci n’investiraient pas nécessairement dans la formation du personnel en raison des coûts impliqués.

 – De plus, la main-d’œuvre du secteur s’appauvrirait, puisque la rémunération des employés dans le commerce de détail, qui est reconnu pour ses conditions de travail médiocres, est en moyenne moins bonne que celle des employés de la SAQ.

 – Les problèmes de santé et de sécurité publiques liés à la consommation d’alcool augmenteraient, puisqu’il est reconnu que les entreprises publiques assurent un meilleur encadrement des lieux de vente et des heures d’ouverture. Aussi, les entreprises privées appliquent moins bien la réglementation en matière de vente aux mineurs et déploient des stratégies de commercialisation pas toujours axées sur la consommation responsable.

En somme, toute forme de privatisation de la SAQ amènerait peu de nouvelle concurrence dans le marché déjà en partie libéralisé de l’alcool au Québec, et donc peu d’avantages pour la majorité des consommateurs.

Une telle politique ne ferait que permettre à une poignée de grandes entreprises privées de jouir d’une nouvelle source de profits sans que la population québécoise, dans son ensemble, en bénéficie.

Il serait en revanche souhaitable que la SAQ revoie ses priorités. Depuis quelques années, le gouvernement exige d’elle un dividende plus élevé, ce qui l’a poussée à améliorer ses processus pour diminuer le coût de ses activités, mais surtout à adopter une stratégie de commercialisation axée sur la vente de produits plus dispendieux.

Les amateurs de vin et de spiritueux auraient tout avantage à ce que la société d’État se recentre sur son mandat, qui consiste à « faire le commerce des boissons alcooliques et [à] bien servir la population de toutes les régions du Québec en offrant une grande variété de produits de qualité ».

Duel économique

Privatiser la SAQ ? Mieux, libéraliser !

La privatisation totale ou partielle de la Société des alcools du Québec rebondit régulièrement dans l’actualité. Est-ce un engagement politique prometteur pour la prochaine élection ?

Le sort de la SAQ est devenu un enjeu électoral : faut-il la privatiser ou conserver à l’État son monopole sur la vente d’alcool ? Ni l’un ni l’autre. Remplacer un monopole public par un monopole privé ne nous avancerait pas. La solution est de libéraliser la vente d’alcool au Québec.

Ça veut dire quoi ? Concrètement, le gouvernement doit permettre à de petits commerçants d’importer et de vendre des vins de toutes sortes, sans passer par la SAQ ni payer la majoration qui y est associée. La même latitude serait offerte aux épiceries, aux dépanneurs, aux restaurants et à tout commerce qui se lancerait dans l’aventure. Crèmerie et caviste ? Pourquoi pas ! (Oui, ça existe.)

Les consommateurs bénéficieront de plus de choix, puisque partout au Québec, des centaines d’acheteurs de vin laisseront libre cours à leurs préférences et à celles de leurs clients, comme cela se fait en France, par exemple. Bien des Québécois apprécient ce choix qu’on leur offre quand ils voyagent.

La SAQ pourra poursuivre ses activités. Elle cessera seulement d’avoir le dernier mot sur tout ce qui est importé et vendu au Québec et subira une réelle concurrence.

Si cette idée ne semble pas très radicale, c’est qu’elle ne l’est pas. Un sondage Léger réalisé l’an dernier pour le compte de l’IEDM montre que 71 % des Québécois sont d’accord pour que des commerçants puissent importer et vendre du vin sans passer par la SAQ. La proposition reçoit une majorité d’appuis chez les électeurs de tous les partis, incluant ceux de Québec solidaire ! La proposition récente de la CAQ et l’ouverture démontrée par le gouvernement libéral n’ont donc rien d’étonnant.

Deux faux arguments

Deux arguments sont habituellement invoqués pour combattre l’idée de mettre fin au monopole de la SAQ. Ni l’un ni l’autre ne tient la route.

Le premier est que la libéralisation ferait perdre d’importants revenus à l’État. C’est complètement farfelu. Le gouvernement ne possède aucune station-service et ça ne l’empêche pas de récolter des millions en taxes sur l’essence. La même logique prévaut pour l’ensemble du secteur du commerce de détail.

Le second est que les prix de la SAQ seraient déjà très bas et qu’il n’y a aucun gain à faire pour les consommateurs. Des comparaisons avec l’Alberta sont souvent mentionnées. Il y a plusieurs problèmes dans cet argument.

D’abord, la vente d’alcool en Alberta n’est pas entièrement libéralisée, puisque le gouvernement y contrôle toujours la distribution. Ensuite, le niveau et le coût de la vie ont augmenté de façon très importante depuis que la revente d’alcool a été confiée au privé. Si les gens gagnent plus cher et que les maisons se vendent plus cher, il est parfaitement compréhensible que l’alcool, un produit de luxe, se vende plus cher. De toute façon, si les prix à la SAQ sont déjà bas, elle n’a pas à s’inquiéter, n’est-ce pas ?

Le choix

Chaque été, je vais en vacances en famille quelque part sur la côte est américaine. On trouve en chemin un magasin de vin grand comme à peu près trois SAQ, qui vend aussi des fromages et des chocolats et propose des vins pour les accompagner. Sur les étalages, les employés notent leurs préférences.

Dans notre village de vacances, ma boutique favorite est grande comme un dépanneur, mais pleine à craquer. Il y a quelques années, un ami avait trouvé une bière de banane dans une belle bouteille jaune.

On dit que les Québécois sont entreprenants et innovateurs. Plusieurs fabriquent du vin et toutes sortes d’alcools, et certains de ces produits ont une renommée qui dépasse largement nos frontières.

Il n’y a aucun doute qu’on retrouvera ce même dynamisme et cette même créativité chez nos futurs cavistes une fois le marché de l’alcool libéralisé.

Lorsque ce sera le cas, je vais sûrement continuer à fréquenter la succursale de la SAQ près de chez moi, mais celle-ci devra travailler un peu plus fort pour me garder comme client. Il est aussi très probable que j’aille faire un tour chez « Le spécialiste du Scotch », « Portos et chocolats » ou aux « Vins de Vincent », selon ce qu’un marché libre saura m’offrir.

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