Chronique

Dites-moi que ce n’est pas vrai, monsieur Saputo !

Imaginez l’état d’esprit de Mauro Biello hier. Au moment où l’Impact s’apprête à disputer un match crucial, voilà qu’un journaliste new-yorkais soutient que l’affaire est entendue : Alessandro Nesta le remplacera à la barre de l’équipe la saison prochaine.

Si ce scénario était loufoque, personne n’en ferait de cas. Mais depuis le désolant revers de l’Impact contre le Minnesota FC au milieu du mois, on sait combien Joey Saputo est déçu du rendement de son club. Il a même expédié Nick De Santis dans le vestiaire pour faire la morale aux joueurs. Ce genre de truc fragilise un entraîneur. C’est signe que le grand patron ne le croit plus capable de dynamiser lui-même le groupe.

Les liens entre Saputo et Nesta renforcent la crédibilité de la rumeur. Au dernier match de l’ex-international italien avec l’Impact, en octobre 2013, le président-propriétaire lui a remis, en guise d’hommage, une toile illustrant une scène de Montréal. « J’aime cette ville, a alors déclaré Nesta. Peut-être que nous allons nous revoir dans le futur. »

Biello n’a sûrement pas oublié ce moment. C’était fort sympathique à l’époque, mais cela devient menaçant pour lui quatre ans plus tard. Il sait que si son équipe ne participe pas aux séries, M. Saputo aura le goût d’un coup d’éclat pour relancer les siens la saison prochaine.

On se retrouverait ainsi devant un triste paradoxe. L’Impact, une organisation si fière de développer des joueurs québécois grâce à son Académie, congédierait son entraîneur québécois à la première difficulté ! Pas de deuxième chance pour lui, malgré des états de service resplendissants en 2015 et 2016.

Dites-moi que ce n’est pas vrai, monsieur Saputo ! Dites-moi que vous ne couperez pas si vite les ailes d’un homme qui s’est bâti à coups de sueur et de travail, un homme à qui vous avez eu l’extraordinaire mérite de donner une chance au plus haut niveau, un homme qui, l’automne dernier, est venu près de mener votre équipe à la finale de la ligue. Un homme qui est aussi, ne l’oubliez pas, un extraordinaire porte-parole pour votre organisation, capable de s’adresser aux fans dans plusieurs langues, une nécessité dans le marché de Montréal.

Je sais, Nesta est une grosse pointure et l’annonce de sa nomination ferait la manchette, de Montréal à Bologne. Mais Biello ne mérite pas d’être sacrifié de la sorte. Ce serait une décision profondément injuste, une vaste opération pour maquiller une réalité incontournable : l’Impact de 2017 n’aligne pas de leader capable d’entraîner les autres dans les moments difficiles. On l’a encore vu hier soir contre le New York City FC. Personne n’a provoqué l’étincelle au moment opportun.

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Le soccer professionnel, qu’on le veuille ou non, est encore en développement à Montréal. Voilà pourquoi, avant de songer à un changement d’entraîneur, l’Impact devrait ajuster son approche à la nouvelle réalité de la MLS. Il faut embaucher une grande vedette, un joueur avec du charisme, capable de séduire le public et d’augmenter le rayonnement du club.

En clair, il faut un deuxième Didier Drogba. C’est lui, et personne d’autre, qui a métamorphosé l’équipe et toute la concession durant son séjour à Montréal. Avec ses exploits sur le terrain, son sens du spectacle, ses bouderies et ses déclarations ressemblant parfois à des poèmes, Drogba a aidé l’Impact à retentir au-delà du cercle des initiés. Avec lui, le spectacle n’arrêtait jamais.

Bien sûr, un joueur de ce niveau coûte cher. Mais l’avenir sportif des équipes à petit budget n’ira pas en s’améliorant en MLS. Pourquoi ? Parce que la ligue évolue à une vitesse incroyable.

Ainsi, en 2011, Joey Saputo et son groupe ont versé 40 millions US pour faire passer l’Impact en MLS. À peine six ans plus tard, le prix d’une nouvelle concession atteint 150 millions US !

Tout cela augmente la valeur de chaque équipe, une excellente nouvelle pour M. Saputo. Mais il y a un revers à la médaille. Si les nouveaux clubs versent pareille fortune pour accéder à la MLS, ils débourseront des sommes colossales pour mettre la main sur des joueurs de grande qualité. C’est ainsi qu’ils rempliront leur stade et créeront un engouement fort envers leur équipe.

Résultat, la concurrence sera de plus en plus vive au sein du circuit. Des clubs comme le New York City FC, le Toronto FC et Atlanta United, tous des rivaux directs de l’Impact dans l’Association de l’Est, n’hésiteront pas à consentir des ponts d’or à des joueurs-vedettes.

L’organisation acceptera-t-elle de jouer ce jeu ? La vraie question est plutôt de savoir si elle peut l’éviter. Personne ne niera qu’au soccer, Montréal est un marché à revenus modestes et que les dépenses doivent être contrôlées. 

L’idée n’est pas de garrocher l’argent par les fenêtres. Mais peut-on trouver un juste milieu entre les largesses du Toronto FC et les contraintes des équipes fonctionnant avec des moyens plus limités ?

En 2015, après avoir été informé de la disponibilité de Drogba, M. Saputo a hésité un moment avant de lui offrir un contrat. Cette dépense allait au-delà du budget alloué pour la saison. Mais il a foncé et le risque a été payant. L’équipe avait besoin d’un joueur capable de frapper l’imagination de tous les Montréalais, pas seulement des fans de soccer. D’un joueur capable d’augmenter les ambitions de ses coéquipiers.

L’Impact, j’en suis convaincu, a bien plus besoin d’un autre Drogba que d’un nouvel entraîneur.

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Mauro Biello a encaissé durement l’échec d’hier. Le manque d’intensité de ses joueurs l’a déçu. Attendent-ils déjà son successeur ?

— Dis-moi, Mauro, comment réagis-tu à la rumeur à propos de Nesta ?

— Ça fait partie du métier. Moi, je peux juste contrôler ce que je peux faire avec l’équipe. Tout le reste, ce sont des distractions. Malheureusement, des choses comme ça sortent...

La journée de Biello a mal commencé. Elle ne s’est pas mieux terminée.

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