Chronique

Peut-on prévenir le #moiaussi ?

Il y a un an, l’Occident était secoué par l’affaire Weinstein et le début du mouvement #moiaussi ou #metoo dans sa version originale.

Soudainement, les victimes de harcèlement sexuel, d’abus de pouvoir et autres horreurs souvent commises dans le cadre du travail avaient le courage de parler.

Une déferlante a suivi.

L’onde de choc a affecté tout le monde. Des carrières se sont effondrées. Des gens ont été dénoncés, de Hollywood à Silicon Valley, en passant par Montréal.

Et à travers tout cela, bien des avocats ont été contactés.

Mais pas juste des criminalistes.

Des spécialistes du droit du travail et de l’emploi ont aussi été appelés, en grand nombre, à gérer cette nouvelle réalité dans les entreprises. Par exemple pour analyser les mécanismes de plainte, rédiger de nouvelles politiques anti-harcèlement, former les cadres sur les responsabilités des employeurs.

Ont-ils passé l’année débordés ?

Peut-être pas. Mais très très occupés.

« Toutes nos équipes, à travers le Canada, ont eu plus de mandats et c’est le sujet qui attire le plus l’attention, avec le cannabis », explique André Royer, le chef national de l’équipe « droit du travail et de l’emploi » chez Borden, Ladner, Gervais.

« Oui, ça a pris beaucoup de place », poursuit Magali Cournoyer-Proulx, spécialiste du droit du travail et de l’emploi chez Fasken, un autre grand bureau.

Cela ne veut pas dire que leurs cabinets ont été inondées de plaintes, même si plus de cas ont été signalés, affirme Me Cournoyer-Proulx.

Mais les avocats ont été fortement invités à faire de la formation, de la prévention, de l’encadrement. Bref, embauchés pour aider les employeurs afin qu’ils ne se retrouvent pas avec des scandales de harcèlement hors de contrôle, avec tout ce que cela signifie comme dommages humains et commerciaux.

Les avocats ont donc passé une bonne partie de l’année à faire des présentations sur ce que dit et ne dit pas la loi, qui en plus vient tout juste de changer. Parce que le gouvernement du Québec a rapidement répondu au mouvement social de l’automne dernier en mettant en marche des changements au Code du travail qui sont entrés en vigueur dès juin.

Parmi les changements importants, il y a la confirmation explicite que le harcèlement sexuel fait partie du harcèlement psychologique, une évidence direz-vous, mais ça devait être précisé. Maintenant, il ne faut pas nécessairement faire des gestes physiques ou directs. La définition est élargie, l’idée d’inconduite est amenée, explique Me Cournoyer-Proulx. Ce qui était socialement acceptable jadis, comme faire des blagues grivoises à répétition au boulot, ne l’est plus et peut maintenant faire partie de ce harcèlement.

« L’autre différence énorme, c’est que dans les recours en cas de harcèlement, le délai pour déposer la plainte est passé de 90 jours à deux ans, explique Me Royer. Ça rend la tâche plus difficile pour les enquêtes. »

Résultat : tout le monde prend ça pas mal plus au sérieux qu’avant. « Il y a plus de sensibilité, dit l’avocat. C’est devenu une partie importante du droit du travail. » 

En outre, la violence conjugale et la violence sexuelle font maintenant partie de ce que l’on peut invoquer pour demander un congé de maladie en vertu de la Loi sur les normes du travail, donc les employeurs ont intérêt à avoir une oreille tendue. 

De plus, le 1er janvier 2019, les employeurs devront tous avoir une politique officielle en matière de harcèlement, rappelle Me Cournoyer-Proulx. Nombre d’entre eux en avaient déjà. Mais pour beaucoup, c’est au moins une mise à jour, sinon carrément un travail à faire entièrement.

Certaines entreprises iront même plus loin, avec des lignes d’assistance téléphonique de type « hot line ». Me Cournoyer-Proulx a vu certaines politiques aussi très précises, qui décrivent exactement ce qu’il ne faut pas faire, comme inviter quelqu’un à sortir plus de deux fois.

« Les employeurs sont inquiets, ils ne veulent pas que ça leur arrive », dit-elle.

Tout ça tient les avocats et avocates occupés.

Parce que même si c’est un élément incroyablement important de la problématique, il n’y a pas que le bien des employés et autres travailleurs qui est en jeu. Il y a aussi les entreprises.

De Juste pour rire à tout l’empire de restaurants de Mario Batali, en passant par la maison de vin Norm Hardie en Ontario, on a vu des sociétés gravement affectées voire décimées quand leurs dirigeants se sont retrouvés montrés du doigt par de graves allégations d’inconduites et harcèlement sexuels.

Les assureurs ont donc commencé à appeler les avocats de droit de l’emploi pour leur demander notamment des formations. Pour voir avec eux comment encadrer, gérer, comprendre ce risque qui est maintenant nommé, celui que des gens, dans une entreprise, aient des gestes déplacés, voire criminels, qui peuvent ébranler la compagnie au complet. Pour voir avec leurs assurés leur niveau d’exposition par rapport à de tels dangers.

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Parfois, en regardant les nominations à la Cour suprême des États-Unis ou en voyant le peu de poursuites qui aboutissent, qui ont abouti dans toutes ces affaires, depuis un an, on se décourage de l’inefficacité du système judiciaire pour attraper, arrêter et condamner les criminels et les agresseurs.

Mais ce que les avocats en droit du travail et en emploi disent, c’est qu’un immense travail de prévention a été mis en place depuis un an. Que des mécanismes internes dans les entreprises sont précisés, inventés, peaufinés, pour permettre aux victimes de se faire entendre rapidement.

Prévenir le #moiaussi ? On m’assure qu’il y a beaucoup de gens de bonne volonté, un peu partout, qui travaillent à ça très fort.

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