Opinion : Système de santé

Le tsunami de Gaétan Barrette

Le bras de fer qui se joue présentement entre le ministre de la Santé et des Services sociaux, Gaétan Barrette, et les diverses organisations représentant les médecins et les pharmaciens est la résultante des nombreux changements apportés dans la gestion du système de santé québécois depuis 2014. En fait, le terme « changement » dénote plutôt un véritable tsunami déclenché par le ministre. Rappelons rapidement quelques faits.

D’abord, l’abolition des 182 Agences régionales de santé et de services sociaux et leur remplacement par 34 Centres intégrés dont les principaux administrateurs sont nommés par le ministre. Ensuite, la loi favorisant l’accès à un médecin de famille crée l’obligation pour les médecins d’encadrer un nombre minimum de patients et établit des cibles précises à atteindre selon les catégories de services rendus. L’objectif plus large est d’instaurer un modèle de financement à l’activité axé sur le patient devant permettre de mesurer la performance des diverses équipes médicales.

On pourrait mentionner plusieurs autres mesures introduites par le ministre Barrette pour illustrer le fait que c’est une véritable réingénierie du système de santé que le ministre a mise en opération. Sans doute cette réforme se justifie pour plusieurs raisons : vieillissement de la population ; amélioration de l’accès aux soins médicaux ; diminution des transferts fédéraux dans un contexte où la santé accapare une part toujours plus importante du budget de l’État québécois. 

Ce qui est surprenant, c’est que le ministre n’a pas mobilisé la population ni les intervenants médicaux derrière ce grand projet.

Au contraire, il y est allé à la pièce, annonçant chacun des changements en silo, révélant ainsi un style de négociateur qu’un spécialiste de la négociation appelle promoteur, c’est-à-dire « un négociateur redoutable par son charme, sa familiarité désarmante, sa vitalité débordante et ses réponses à tout. Il enjoue, fait rire et ose. Mais il fait volte-face de façon rapide car l’une de ses caractéristiques est de savoir s’adapter rapidement aux situations nouvelles. Il a du flair et un réel talent pour se sortir de situations bloquées. Au fond de lui-même, c’est un loup solitaire qui travaille d’abord pour lui. Il a la croyance que le monde est dur, seuls les forts s’en sortent. Il aime le pouvoir ostentatoire ».

Néanmoins, pour l’observateur du domaine des relations industrielles, ces transformations dans la structure administrative du Ministère ainsi que les vives contestations qu’elles provoquent ne sont pas sans rappeler la situation qui prévalait dans les années 90 alors que plusieurs entreprises privées devaient procéder à une réorganisation systématique de leur fonctionnement pour s’ajuster à la concurrence accrue dans un contexte de mondialisation.

Lâcher du lest

Les premières réactions des représentants des employés ont été les mêmes que celles des groupes impliqués aujourd’hui dans le secteur de la santé : il fallait essayer de protéger les conditions de travail acquises, parfois au terme de luttes difficiles. Cependant, plusieurs syndicats ont vite réalisé qu’il ne suffisait pas de s’opposer systématiquement aux changements proposés et ils se sont impliqués résolument dans la réorganisation du travail malgré la perte de certains droits et privilèges que cela impliquait. Ceux qui se sont obstinés à vouloir protéger les acquis à tout prix ont souvent assisté impuissants à la fermeture ou à l’exode de l’entreprise.

La comparaison a évidemment ses limites. Cependant, puisque la réingénierie du système de santé doit se faire sans imposer un fardeau fiscal supplémentaire à l’État, cela implique nécessairement la collaboration des dispensateurs de services qui devront abandonner l’idée de préserver le statu quo et accepter d’absorber une partie du coût de l’opération.

L’impasse actuelle est sans doute davantage causée par le flou qui existe quant au niveau d’implication financière qui sera exigé des médecins et des pharmaciens que par les méthodes utilisées par le ministre pour faire accepter ses desseins. La problématique actuelle concernant l’abolition des frais accessoires sera peut-être l’élément déclencheur d’une prise de conscience collective de la tâche à accomplir.

Opinion : réforme du système de santé

Le paratonnerre médiatique

Incontestablement le ministre du gouvernement du Québec le plus visible en 2016, Gaétan Barrette semble au front partout tout le temps. Dixième personnalité de l’année 2016 dans les médias selon le classement d’Influence Communication, il arrive tout juste derrière des premiers ministres (Trudeau et Couillard), des acteurs dans la campagne électorale américaine (Trump, Clinton, Obama), notre maire bien connu Denis Coderre, un autre politicien très présent l’année dernière pour toutes sortes de raisons Pierre Karl Péladeau et finalement nos deux personnalités de hockey (Carey Price et Michel Therrien), loin devant tous ses collègues.

Le poste de ministre de la Santé et des Services sociaux a plein de bonnes raisons pour être très visible : avec un budget de 32 milliards, il accapare à lui tout seul pratiquement la moitié des dépenses de l’État (deux fois plus que l’Éducation ou que tous les autres portefeuilles réunis), avec une présence sur tout le territoire mais surtout avec un contenu très sensible qui touche tout le monde de façon souvent émotive, le potentiel et les occasions de nouvelles ne manquent pas, de l’accès au système et de l’attente aux urgences, des nombreuses négociations avec les différents partenaires du réseau, des changements presque perpétuels aux structures qui ont toujours des impacts réels ou appréhendés, c’est une fonction qui attire l’attention.

Plusieurs ministres dans le passé ont d’ailleurs laissé leur marque (Philippe Couillard, Pauline Marois, François Legault, Marc-Yvan Côté, Denis Lazure ou encore celui qu’on appelle encore le père de l’assurance maladie Claude Castonguay).

Une personnalité

Mais c’est d’abord sa personnalité et ses stratégies de communication qui font de Gaétan Barrette un véritable paratonnerre des communications gouvernementales : les critiques, les attaques et parfois aussi les félicitations se dirigent pratiquement toutes vers lui et il semble ne jamais esquiver cette pression en multipliant ses présences sur toutes les plateformes et sur tous les sujets qui sont sous son immense juridiction.

Il a une personnalité hors du commun qui attire facilement l’attention et son poids a bien sûr constitué un ingrédient de sa notoriété – jusqu’à ce qu’il règle ce problème d’une façon aussi spectaculaire qu’il s’attaque à d’autres enjeux. Comme président de la Fédération des médecins spécialistes, poste qu’il a occupé pendant huit ans, on se souvient des nombreuses pressions publiques qu’il a faites sur le gouvernement de l’époque qui ont largement contribué au rattrapage salarial des membres de cette fédération.

Le saut en politique, d’abord à l’ADQ, puis au Parti libéral, a bien sûr surpris et a aussi contribué à attirer l'attention sur la façon dont il allait négocier ce virage majeur, ce passage en pratique d’un côté de la clôture à l’autre. On ne peut nier qu’il a effectivement endossé avec autant de fougue son nouvel habit ministériel qu’il l’avait fait avec la défense des intérêts de ses membres.

Quant à ses stratégies de communication, on a pu observer que son hyperactivité et la tendance à la centralisation qui le caractérisent s’expriment aussi dans ses communications.

Il multiplie les annonces et son nom figure en bonne place dans les communiqués qui émanent du Ministère. Mais il cherche aussi à maximiser son impact et à ne rien laisser passer en répondant aux critiques chaque fois qu’il peut. Par exemple, il est très présent sur Twitter, répondant aux critiques et interpellant ses interlocuteurs. Il a d’ailleurs fait les manchettes lorsque l’émission Tout le monde en parle a abordé la situation dans les centres d’hébergement et de soins de longue durée sans l’inviter en faisant presque autant de bruit à partir de son compte Twitter que s’il avait été là.

Et on se souvient du coup spectaculaire lorsqu’il a invité une centaine de personnes devant des journalistes à déguster un repas de démonstration des nouveaux repas en CHSLD. L’opération a bien sûr été critiquée, mais elle n’en a pas moins fait la manchette pendant plusieurs jours, chassant ainsi les fameuses patates en poudre ! Qu’on l’aime ou non, qu’on apprécie ses méthodes ou non, on doit reconnaître en Gaétan Barrette un redoutable communicateur omniprésent et efficace.

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