Témoignage

Il faut qu’on se parle de sécurité

Il faut qu’on se parle, toi et moi. Je ne te connais pas, mais je me permets de te tutoyer. Puisque tu as failli me rentrer dedans, je pense qu’on a atteint un certain degré de familiarité.

Je suis piétonne. Mon mari est piéton. Mon enfant le sera aussi, s’il peut se décider à marcher un jour. On marche quotidiennement quelques kilomètres le sourire aux lèvres en chantant gaiement avec notre petit garçon… jusqu’à ce que toi, automobiliste, tu décides de ne pas respecter le passage piétonnier.

Quand tu fais ça, tu ruines ma journée. Je te parle fort. C’est pour que tu m’entendes depuis l’intérieur de ton spacieux habitacle chauffé et sécuritaire. Je vais sans doute te fixer avec des yeux méchants et je vais gesticuler pour que tu comprennes. Je ne revendique rien. Je ne veux pas faire la loi. Je veux juste que tu comprennes. Je veux que tu comprennes que tu m’as fait peur.

Je suis pressée. C’est pour ça que je marche vite, tu as vu ? Toi aussi, tu es visiblement pressé. Tu vas certainement sauver quelques secondes en ignorant les lignes blanches bien grasses peintes sur la chaussée.

Pire que de ne pas me laisser passer, tu vas peut-être commencer à avancer alors qu’on est toujours au milieu de la rue, mon bébé et moi.

Toi, tu vas arriver au bureau ou à la maison et tu ne te souviendras plus de cet événement anodin.

Moi, je vais m’en souvenir.

D’abord, face à toi, mes mains vont devenir moites et mon cœur va s’emballer. Je vais avoir une petite décharge d’adrénaline. Ensuite, je vais appeler mon mari pour lui raconter ce qui s’est passé. Quand tu fais ça, je pense à la vie de mon bébé que tu as potentiellement mise en danger. Je me dis que si mon enfant avait eu le malheur d’échapper une mitaine par terre alors que je traversais la rue, j’aurais peut-être pris le temps de la ramasser, et tu aurais peut-être frappé la poussette ou tu m’aurais frappée, moi. Je me dis qu’à 16 h 30, il fait noir, et tu ne verras sûrement pas que ce jour-là, je tire la corde d’un traîneau où mon fils est assis bien emmitouflé, qui sera sans doute hors de ton champ de vision du haut de ton VUS. Je te rassure, je finis par passer à autre chose… Jusqu’au prochain conducteur pressé.

S’il te plaît, rappelle-toi qu’en tant que piéton, on n’a pas de dispositifs de sécurité ultra sophistiqués. Il n’y a aucune alarme qui retentira si j’ai quelqu’un dans mon angle mort. La poussette n’a pas passé de test de collision. Les piétons, on est des usagers vulnérables. Mon bébé est vulnérable. Je suis vulnérable.

S’il te plaît, sois patient. Je marche vite parce que je ne veux pas te mettre en retard. Je marche vite parce que je ne veux pas que tu me rentres dedans.

Laisse-moi donc cinq secondes, juste le temps d’atteindre le trottoir avant d’appuyer sur la pédale de gaz.

Si tu me laisses passer, je te fais un beau sourire. Ça fait du bien. J’aime mieux te sourire que de te faire des yeux méchants.

Est-ce que c’est trop demander ?

Ah, et à l’automobiliste qui s’est arrêté et a pris la peine de me dire que les lignes blanches signifient que la priorité est aux voitures… S’il te plaît, apprends ton code de la route. Tu ne mérites pas ton permis de conduire.

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